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les heures les plus périlleuses, député, ministre, diplomate. Il s’est vu comblé d’honneurs et persécuté. Envoyé aux cortès par sa ville natale en 1822, il était bientôt obligé de se réfugier à Londres, puis condamné à mort par l’audience de Séville. Ministre en 1836 avec MM. Isturitz et Galiano, il n’échappait aux fureurs de la multitude égarée qu’à l’aide d’un déguisement. Aujourd’hui il est ambassadeur à Naples, où le ciel italien lui rend sans doute les douceurs du ciel de l’Andalousie. Comme on voit, c’est l’agitation, le mouvement, la participation à tout ce que l’Espagne a tenté depuis un demi-siècle, c’est-à-dire la vie dans son expression la plus saisissante. En même temps, par un noble effort, le duc de Rivas faisait le Moro Exposito (le Bâtard maure), les Romances historiques, don Alvaro ou la force du Destin, drame étrange, qui fut le premier fruit de la rénovation dramatique espagnole, l’agréable comédie de Tanto vales cuanto tienes. Cette alliance de l’activité extérieure et de l’activité non moins féconde de la pensée, du prestige des aventures romanesques et de l’éclat littéraire, est ce qui distingue beaucoup d’anciens écrivains de la Péninsule. Ercilla, jeune encore, franchissait l’océan pour prendre part aux expéditions d’Amérique, et la nuit, dans l’intervalle de deux combats, il écrivait ces vers de l'Araucana, dont la gloire a fait vivre la résistance d’une petite peuplade du Chili. « Aucun pas, disait-il, n’avait été fait sur cette terre qu’il n’en eût mesuré la trace ; aucune blessure n’avait été reçue qu’il n’en connût l’auteur. » Garcilasso de la Vega fut un des brillans soldats de Charles-Quint, et, durant ses courses de Vienne à Tunis, comme pour se reposer du fracas des armes, il faisait renaître les pasteurs de Virgile. Avant d’être surpris par la mort dans un assaut, le doux poète avait créé l’églogue espagnole. Hurtado de Mendoza était plus connu comme diplomate, comme gouverneur en Italie, que comme écrivain, et cependant sa plume, tour à tour légère on grave, s’est jouée dans les amusantes intrigues d’un roman picaresque, de Lazarille de Tormès, et a retracé l’Histoire des Guerres de Grenade. Cervantès avait perdu un bras à Lépante ; il avait été captif à Alger ; il souffrait la pauvreté, et c’est l’ame mûrie par ces revers que, de la main qui lui restait, il écrivit Don Quichotte, ce livre devenu populaire, si attrayant pour la foule, si profond pour le penseur. Race pleine d’énergie active et d’ardeur, qui, dans l’histoire littéraire, forme un contraste naturel avec cette autre famille de grands esprits uniquement voués au travail, sobres d’action, timides même devant les difficultés matérielles, et qui, sans franchir le cercle de leurs coutumes paisibles, devinent, par la méditation, par la profondeur de l’étude,