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manqué autrefois, l’épura des superstitions qui l’avaient souillé, et, en le ramenant pas à pas à la vie, prépara l’instant où il pourrait ressaisir quelques traits de son originalité première. Tandis qu’une complète déchéance littéraire avait signalé les commencemens du XVIIIe siècle, le talent lyrique de Melendez Valdez ornait d’un éclat nouveau ses années tombantes : si l’auteur de l’ode sur le Triomphe des Arts est français encore par le fond, il retrouve parfois les richesses de l’antique forme espagnole. Le même caractère apparaît dans les poètes venus après lui, et qui marquent non-seulement la transition d’un siècle à l’autre, mais encore le passage de l’imitation française à l’originalité moderne, dans cette école qui se compose de Quintana, Gallego, Arjona, Lista. Ce n’est point sans doute une école puissante, dont le passage ait été victorieux, qui se soit élevée au-dessus des conditions moyennes de l’art, de la mesure, de l’élégance, de la correction ; on ne peut nier cependant qu’elle n’ait été un progrès réel, le seul peut-être qui fût possible alors. Il faut ajouter que, lorsque quelques-uns de ces écrivains ont rencontré un sentiment vrai, une émotion patriotique inspirée par le malheur du temps, ils ont su trouver en eux-mêmes des accens généreux et durables. — Le duc de Rivas semble se rattacher à cette tradition par les essais de sa jeunesse ; mais ce n’était qu’un premier culte de son esprit inexpérimenté. Sa vraie place devait être dans la renaissance poétique plus profonde et plus large qui allait s’accomplir à côté de la révolution politique. C’est dans quelques-unes de ses compositions lyriques, telles que le Proscrit (il Desterrado), l’ode au Phare de Malte ou Aux Etoiles, dans ses poèmes ou dans ses drames, qu’on peut voir briller les premiers éclairs du génie nouveau. Destinée singulière ! le combat qu’il avait livré avec l’épée à Ocaña pour l’indépendance, vingt ans plus tard, son intelligence le renouvelait dans le Moro Exposito, pour revendiquer pleinement la nationalité littéraire de son pays. Cette œuvre d’une imagination facile et énergique a été la première victoire de l’école moderne au-delà des Pyrénées. Le duc de Rivas appartient donc tout entier à la rénovation littéraire espagnole ; il en a été le brillant promoteur. Poussé par son instinct, averti par les douleurs dans lesquelles il expiait le tort d’être de son siècle, instruit par l’exil, il a été l’un des premiers à vouloir créer un art qui exprimât fidèlement la civilisation nouvelle de la Péninsule. Ce qu’il y a de grand ou d’incomplet dans ses tentatives tient aux grandeurs et aux imperfections de cette civilisation même, qui n’est point arrivée encore à saisir bien nettement, bien distinctement, et sa loi et son but.