Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tes enfans, et non leur corruption, qui a fait tes maux. Les étrangers se sont unis à des tyrans pour te ravir ta liberté naissante ; mais leurs triomphes seront passagers : les vengeurs ne te manqueront pas… Quand ce grand jour se lèvera-t-il ? Ah ! qu’il vienne tant que l’ardeur de la jeunesse échauffera mes veines et que mes bras conserveront leur force !

« Mais, si les lois immuables du destin éloignent encore cette heure souhaitée de la réparation, qu’elle vienne du moins avant que la mort cruelle me frappe de son inexorable main ! Que mes yeux pleins de larmes, doux pays, puissent voir tes campagnes, fût-ce au moment où ma tête blanchie s’abaissera sous le couteau de la Parque inclémente, où la tombe muette m’ouvrira ses bras ! Que je foule encore ton sol libre, riche, heureux et indépendant, dût-il être pour moi désert, sans amours et sans amitiés, et ne m’offrir que des tombeaux où aller répandre des larmes et des fleurs ! Et, dans cette vallée natale où coule le Guadalquivir à la lumière silencieuse de la lune, que je puisse jeter au vent le dernier de mes chants, ayant pour m’entendre célébrer ta gloire, ô patrie, les hommes qui ne sont pas nés encore et maudissant avec eux la mémoire de tes fils indignes qui te dégradent et t’oppriment ! — Alors je briserai ma lyre et je mourrai content, allant chercher l’éternel repos à côté de mes aïeux… »


Il serait difficile de rendre le feu de cette plainte énergique et saisissante, de reproduire exactement, dans un langage étranger, la couleur dramatique que lui donne cette brûlante rapidité d’émotions qui se succèdent et se heurtent, pour aller se perdre dans un invincible élan d’amour. Ce n’est point, on le sent, un simulacre de douleur ; c’est un deuil réel, ce sont des larmes vraies : l’imagination ne fait que venir en aide au cœur oppressé. L’ode Aux Etoiles date du même instant. Ceci n’était toutefois que la première heure de l’exil, l’heure de la fuite amère et inconsolable, qui devait être suivie pour l’auteur de longues années d’absence pendant lesquelles il eut à souffrir plus que l’incertitude morale de la proscription. Plus d’une fois le besoin vint l’assaillir. Tantôt, vivant à Londres, il évoquait tristement, au milieu des brouillards de la Tamise, les souvenirs enivrans du pays natal, comme le témoigne le Rêve du Proscrit (el Sueño del Proscrito) ; tantôt, espérant trouver à Rome un ciel plus clément et des spectacles mieux faits pour l’inspirer, il se dirigeait vers cette antique patrie des arts, mais la police italienne l’expulsait soudainement de Livourne, et il se voyait contraint de se réfugier à Malte. L’ode au Phare de Malte reproduit ses impressions lorsqu’il aborda pour la première fois à cette île, en 1828, après avoir failli périr dans une tempête. Puis il retournait en France, et là encore il n’échappait pas aux plus dures nécessités. La peinture, qui avait été un des amusemens de sa jeunesse,