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se trouvait indissolublement liée à la révolution politique de la Péninsule. L’auteur du Desterrado avait repassé les Pyrénées en 1834 avec ses compagnons d’exil. Par son passé, le duc de Rivas, — la mort de son frère venait de lui laisser ce titre, — devait être de nouveau appelé à jouer un rôle politique. Il fut nommé vice-président des proceres[1] sous le régime du statut royal. Dans les premières discussions même, il est aisé de constater qu’un changement notable s’était opéré en lui : non que le temps eût attiédi son dévouement au progrès de l’Espagne, mais l’expérience avait corrigé son exaltation brûlante. Lorsqu’on proposait la loi d’exclusion contre don Carlos, il élevait le débat au-dessus d’une simple question de légalité, et, fidèle à lui-même, il ne fixait ses préférences que parce qu’il voyait la lutte établie entre la liberté et l’absolutisme. Cependant il ajoutait en même temps : « Certainement, messieurs, il est douloureux que nous soyons mis dans une si cruelle nécessité par un infant d’Espagne, descendant de cent rois, neveu de Charles III, fils de Charles IV, ce doux et naïf vieillard mort dans l’exil, loin de son trône et de ses serviteurs. Je suis reconnaissant, mon père et ma famille lui ont dû des faveurs…, et nous qui sommes ici, nous l’avons presque tous servi dans notre jeunesse… » Dans ces paroles, on sent que la modération a mûri cette tête ardente, qu’un sentiment de patriotisme élevé, sage, généreux, s’est substitué à un esprit de parti exclusif et haineux. Plus tard, en 1836, on peut voir le duc de Rivas ministre de l’intérieur dans le cabinet de M. Isturitz, et cette fortune non enviée lui suscitait de nouveaux chagrins, de nouvelles persécutions. Le ministère Isturitz, en effet, disparut dans l’échauffourée militaire de la Granja ; ses membres furent contraints de se soustraire par la fuite aux passions ameutées qui avaient mis en pièces et défiguré le corps de Quesada. Le duc de Rivas partagea ce mauvais sort, et passa momentanément en Portugal. Depuis, il a toujours occupé un rang éminent dans le parti modéré. Par ses actes, par ses discours, il a nettement marqué sa position dans toutes les circonstances. Toutefois il n’est pas un seul instant de cette vie agitée où le travail de l’imagination ne vienne révéler les vrais penchans du duc de Rivas. L’homme politique s’efface encore ici devant l’écrivain qui a donné la première impulsion au mouvement littéraire de l’Espagne, dans le poème par le Moro Exposito,

  1. Comme on le sait, le statut royal établissait deux chambres, les proceres et les procuradores : la première se composait de grands du royaume, d’évêques, d’hommes renommés dans des fonctions publiques éminentes ou dans les lettres ; la seconde était élue par le pays.