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les efforts tentés pour corriger la fortune obtiendront quelque prix ? La morne pitié qu’inspire un héros condamné et livré à la fureur vengeresse d’une destinée implacable serre le cœur, lui communique un oisif et venimeux désespoir. Une compassion douce et féconde, au contraire, naît à la vue de l’être assailli par les épreuves, et qui parvient de nouveau à découvrir les étoiles du ciel, selon le langage de Dante, après avoir suivi sans succomber la voie des douleurs humaines.

Quel que soit d’ailleurs ce jugement général, il faut le reconnaître, le duc de Rivas a développé son sujet avec une réelle puissance. On conçoit que pour une telle donnée les fictions classiques fussent insuffisantes, qu’il fallût un cadre plus libre et plus large aux agitations renaissantes de la destinée de don Alvaro. L’auteur n’a ménagé ni le temps ni l’espace ; les années s’écoulent entre le commencement et la fin de l’action dramatique, la scène change à son gré, et est tantôt en Espagne, tantôt en Italie. L’élément comique vient par instans reposer des terreurs du drame. La prose se mêle aux vers, comme dans certains ouvrages anciens. Rien ne manque à cet essai hardi, qui, le premier, a donné la mesure des facultés dramatiques du duc de Rivas, comme le Bâtard maure avait fait éclater dans un jour nouveau ses autres qualités poétiques. — Il est maintenant facile d’apercevoir les traits distinctifs du génie de l’auteur. On pourrait dire de lui ce que Sheridan disait de Moore : « Son ame est une étincelle de feu échappée du soleil ! » Doué d’une sensibilité énergique, d’un enthousiasme prompt et chaleureux, dans la poésie lyrique il trouve d’incomparables accens ; s’il plonge dans l’histoire, la vérité se révèle à lui par éclairs, dans quelque vision magnifique et passagère ; il la devine d’instinct plutôt qu’il n’en a une connaissance exacte. S’il peint un caractère, il en saisit surtout les côtés extérieurs et saillans qui frappent l’imagination. Il est habile à décrire les désastreux effets d’une calamité fatale, bien plus qu’à suivre pas à pas les passions dans leur développement moral et logique. Son style a toute l’opulence méridionale, la richesse de la couleur, la profusion des images, avec les défauts inséparables de ces qualités même. Il y aurait, sans contredit, de nombreux points de comparaison entre cette nature généreuse dominée par l’imagination, et celle de l’auteur des Orientales et d'Hernani, dont le génie est à demi espagnol.

Le talent du duc de Rivas s’est montré sous une autre face dans la comédie. Le Prix de l’Argent, — si l’on aime mieux, Tu vaux ce que tu as (Tanto va les cuanto tienes),- est une intéressante peinture de mœurs. C’est un pauvre diable de millionnaire qui tombe des Indes à