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Séville chez sa sœur doña Rufina, et dont la considération baisse ou s’élève auprès de celle-ci, auprès des usuriers qui l’entourent et des amans intéressés qui courtisent sa fille, suivant qu’on le suppose ruiné par les pirates ou encore possesseur de ses richesses ; ce qui doit faire réfléchir les millionnaires, et n’empêche cependant personne de tâcher de le devenir, sans doute afin que la comédie ne périsse pas. Il y a des détails faciles et amusans dans le développement de cette idée : le contraste de ce brave don Blas arrivant chargé d’or, seul pourtant, sans suite et mal vêtu, au milieu de sa famille, qui couvre sa misère d’un luxe insolent, est d’une invention comique élevée ; mais le Prix de l’Argent n’est qu’une diversion aimable, que le jeu d’un esprit flexible et varié. C’est dans la voie qu’il s’était d’abord ouverte, dans le drame et dans le poème, que le duc de Rivas s’est maintenu avec gloire, et il n’a eu qu’à écouter son inspiration première pour produire d’autres œuvres sérieuses et originales, où son imagination se retrouve tout entière. L’Epreuve de la Loyauté (el Crisol de la Lealtad), les Consolations d’un Prisonnier (Solaces de un Prisionero), la Morisca de Alajuar surtout, sont de remarquables compositions dramatiques qui se rapprochent complètement des vieux modèles par l’ampleur, la liberté, le mouvement de la passion ou de la fantaisie. Dans le poème, l’auteur a mieux fait : il a rajeuni le romance ; ingénieuse tentative digne de succès ! Déjà il avait publié quelques romance ; à la suite du Bâtard maure en 1834 ; ses plus récens recueils sont exclusivement consacrés à faire revivre cette antique forme, et à lui donner un nouveau lustre.

Le romance, on le sait, est un genre particulier à la Péninsule. C’est dans ce mode de récit spontané, rapide, souple et toujours animé, que l’Espagne a célébré les évènemens de sa vie guerrière, ses faits domestiques ; c’est dans cette poésie vraiment nationale que se reflètent le mieux son génie et ses mœurs. Il n’est pas de forme plus dramatique et plus heureuse que cette forme laissée par l’imagination populaire à l’imagination plus savante des poètes et qui avait été atteinte de la corruption commune à la fin du XVIIe siècle. Le duc de Rivas, en la modifiant légèrement, en lui appliquant une certaine règle rendue inévitable par les progrès de l’art, n’a fait que la reproduire dans les Romances historiques. Il s’est servi d’un genre de poésie purement espagnol pour traiter des sujets tout nationaux, — aventures tragiques, combats de chevalerie, histoires d’amour, prodiges de l’honneur. C’est dans les annales même de son pays, qu’il a puisé, et il serait parfois curieux d’observer comment les Romances