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sur les différentes langues slavones. Il est vrai qu’à Breslau M. Tchelakovski ose consacrer une partie de ses leçons à la littérature et même à l’histoire ; mais son objet principal demeure néanmoins la philologie, pour laquelle tous ces professeurs affectent, non sans motifs, une grande prédilection. Nous sommes donc forcés de le reconnaître, beaucoup plus éclairés, plus avancés que la Russie dans la voie libérale, les états de l’Allemagne se montrent cependant, vis-à-vis des chaires slaves qu’ils ont fondées, beaucoup moins tolérans que le gouvernement russe.

Quand on pense que c’est sous le sceptre du tsar que la liberté de discussion, pour les plus importantes questions de la littérature slave, est réduite à s’épanouir, on ne peut se défendre d’un sentiment de joie, en voyant un auditoire à la fois slave et français s’assembler ici, dans cette capitale de la pensée, chez le peuple qui a le cœur le plus sympathique et la parole la plus libre du monde. On se sent porté à remercier du fond de l’ame les hommes d’état dont la sage prévoyance a fondé cette chaire, où l’on peut réparer toutes les omissions, toutes les pénibles réticences imposées aux autres chaires slaves, et débattre sans crainte toutes les questions qu’on évite ailleurs. Le moins que l’opinion publique pût désirer pour la chaire de Paris, c’était sans doute qu’elle ne se montrât sous aucun rapport inférieure aux chaires russes. Aussi avait-on choisi pour représenter le slavisme parmi nous un des hommes les plus aptes à atteindre ce but, un homme dont les poèmes intraduisibles, quoique cependant traduits dans toutes les langues de l’Europe, sont presque passés chez les nations slaves à l’état de chants populaires, un homme dont plusieurs ouvrages ont eu jusqu’à vingt éditions dans des contrées où deux éditions en représentent dix pour notre pays. Je ne puis en dire davantage sur ce sujet. Sans des circonstances impossibles à prévoir, je n’aurais jamais paru dans cette enceinte. Ma place et mon devoir étaient ailleurs. Je ne suis point un savant, mais j’aime les Slaves, j’ai vécu près de dix ans voyageur au milieu d’eux, et c’est avec une sympathie profonde que j’ai étudié leur état social et leur littérature. Voilà mes seuls titres à venir suppléer ici l’un des plus grands écrivains du Nord. S’il suffisait d’une vive affection pour être toujours persuasif et vrai, personne ne parlerait des Slaves avec plus d’éloquence et de vérité que moi : personne au moins, je le sens, ne parlera d’eux avec plus d’amour.

Ce qui m’encourage surtout, c’est la certitude de ne pas travailler seul. Ce que je ne pourrai faire, d’autres le feront ; là où je me tromperai, il s’élèvera des voix empressées à me rectifier. Les questions restées jusqu’ici les plus obscures se trouveront bientôt éclairées d’un jour nouveau : comment en douter, quand on voit les efforts que font partout les Slaves pour conquérir la science, pour s’élever enfin au niveau des grandes nations civilisées ? On ne sait pas assez quelle moisson d’idées nouvelles et de faits encore inconnus se cache dans ces littératures, dans ces langues jusqu’à présent dédaignées, quoique ceux qui les parlent occupent géographiquement les deux tiers de l’Europe. Depuis tant de siècles que les slavistes travaillent