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qu’assise au lit du malade. La critique philosophique, appliquée aux productions de la pensée et de l’art, est, pour ainsi parler, une sorte de clinique morale : elle constate les faiblesses, les infirmités, les maladies de l’intelligence. A des œuvres mal conçues ou débilement exécutées, à des productions d’une stérilité ambitieuse et dont un faux éclat ne peut déguiser le néant, elle oppose tout ce que l’étude de la nature humaine lui a appris. De ce contraste sortent d’excellentes leçons. Les auteurs, il est vrai, font souvent comme les malades qui crient lorsqu’on touche leurs plaies, et cependant ils sont plus heureux que ces derniers, car leur guérison dépend d’eux-mêmes ; mais, hélas ! s’il est difficile au médecin de guérir les autres, peut-être l’auteur, averti par la critique, a-t-il plus de peine encore à connaître son état et à s’amender. Les cures littéraires sont les plus rares de toutes.

À ce compte, la critique serait presque inutile ? Non ; si elle persuade peu celui auquel elle s’adresse directement, elle produit sur d’autres une impression salutaire ; elle éclaire, elle met en garde contre eux-mêmes les esprits qui se préparent à produire, et elle donne à tous, lecteurs et écrivains, de judicieuses indications pour saisir et goûter ce qui est vrai, ce qui est beau. Seulement, la critique n’aura cette puissance que si l’on croit à l’intégrité de ses arrêts. Si elle se met servilement à la suite d’une opinion, d’une théorie, au lieu de les dominer toutes ; si, à l’égard des personnes, elle a l’air d’une flatterie ou d’une vengeance, elle porte elle-même à l’autorité qu’elle ambitionne une irréparable atteinte.

Critiquer, c’est juger et donner de ses jugemens des raisons victorieuses. L’indépendance du caractère, la force et la justesse de l’esprit, l’élévation et la fécondité des doctrines, peuvent seules fonder le crédit de la critique philosophique. Dans quelle mesure ces qualités indispensables nous sont-elles offertes par les Mélanges philosophiques et religieux de M. Bordas-Demoulin ? Nos lecteurs connaissent déjà M. Demoulin, dont l’institut a couronné l’ouvrage sur le cartésianisme ; ils n’ont peut-être pas oublié les mérites et les défauts de cet écrivain, plein à la fois de conscience et d’illusions, qui, non content de l’honneur de commenter puissamment Descartes, revendiquait la gloire de l’avoir découvert et révélé. Nous avons montré aussi comment M. Bordas-Demoulin aspirait au rôle de métaphysicien créateur[1]. Cette prétention au génie, nous avons dû la rabattre et la réduire au talent.

  1. Le Cartésianisme et l’Eclectisme. — Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1843.