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vu. Un voyage dans les états de ce dernier fut sur le point d’être entrepris par quelques-uns des savans qui accompagnaient l’armée, mais les évènemens changèrent de face. Après ce dialogue à distance entre le futur souverain du royaume le plus civilisé de la terre et le chef d’un peuple barbare, tout rentra dans le silence.

La route restait tracée ; cependant les dangers qu’elle présente n’avaient en rien diminué. Sur dix voyageurs qui ont pris à tâche, depuis vingt ans, d’explorer le centre de l’Afrique en dirigeant leur marche vers Tombouctou, neuf ont péri, René Caillié seul est revenu Si ces fantasques populations livrent passage de loin en loin à l’Européen que la passion des découvertes pousse en avant malgré tous les périls, le plus souvent elles le retiennent comme une proie et le condamnent à périr avec son secret. À ces races noires reléguées au milieu d’un immense continent, sous des latitudes brûlantes, défendues contre l’approche des nations civilisées par leur sauvagerie, par des barrières naturelles de déserts et de montagnes ; à ces peuples ignorans, farouches à la manière des bêtes fauves et jaloux de leur liberté ; l’homme blanc apparaît comme un mauvais génie, comme le précurseur de la conquête. Il devient tour à tour un objet de terreur ou de mépris, selon qu’il résiste avec une force d’ame surhumaine aux obtac1es, aux dangers qu’on lui suscite, selon aussi que l’influence du climat et des inquiétudes sans cesse renaissantes altèrent sa constitution physique et abattent son courage. Les instrumens inconnus à l’aide desquels il observe le soleil pour assurer sa route excitent la défiance, et le désignent partout comme un sorcier ; il est désormais responsable des calamités qui affligent le pays d’alentour. Que par hasard des connaissances en médecine heureusement appliquées lui attirent la bienveillance intéressée d’une population, son départ alors devient impossible ; on le retient, on l’arrête par force et quelque prince poursuivi par la crainte de mourir oblige l’étranger de s’asseoir dans son palais entre ses magiciens et son bouffon. Si ce voyageur est chrétien, s’il le témoigne en manquant aux prières de la loi musulmane, s’il ne lit point le Coran, si subitement interpellé par un passant, il refuse de prononcer la formule sacramentelle, sa mort est certaine. Devra-t-il donc se résoudre à simuler une croyance qu’il repousse, soutenir pendant des années le rôle difficile et répugnant d’un néophyte avide de se perfectionner dans la connaissance de l’islam ? Devra-t-il au mensonge tacite du vêtement joindre l’hypocrisie flagrante des actions et du langage ?

Le voyageur dont le récit va nous occuper n’eut aucune dissimulation