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principes des choses. Il aura été dans la destinée de M. de Lamennais de défigurer, de dégrader le christianisme, qu’il avait commencé par défendre avec tant d’éclat. Le même homme qui, à la suite des grands docteurs catholiques, à la suite de saint Augustin, de Bossuet, était venu prendre place parmi les plus illustres apologistes de la religion chrétienne, se met à reproduire aujourd’hui tant les hérésies informes du moyen-âge que les fanatiques aberrations qui agitèrent l’Allemagne et l’Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles. Est-ce ainsi qu’on prétend imprimer à notre époque une impulsion puissante et nouvelle ? Le talent littéraire dont on trouve le brillant témoignage dans plusieurs pages des Réflexions de M. de Lamennais sur les Évangiles ne saurait empêcher de reconnaître à quelle triste déchéance il a lui-même, de gaieté de cœur, condamné sa pensée.

Assurément le christianisme a une vertu sociale, l’histoire en témoigne, et plus on l’interroge, plus elle confirme la vérité de ces paroles de Montesquieu : « Que, d’un côté, l’on se mette devant les yeux les massacres continuels des rois et des chefs grecs et romains, et, de l’autre, la destruction des peuples et des villes par ces mêmes chefs, Timur et Gengiskan, qui ont dévasté l’Asie, et nous verrons que nous devons au christianisme, et dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la guerre un certain droit des gens que la nature humaine ne saurait assez reconnaître[1]. » Comment le christianisme a-t-il accompli ces heureux changemens dans les affaires de ce monde ? En prêchant à tous, aux rois comme aux peuples, aux vainqueurs et aux vaincus, la justice et la charité. Peu à peu le christianisme a pénétré dans les ames, adouci les mœurs, puis les lois ; il a lentement conquis une puissance sociale d’autant plus certaine, qu’il ne s’est identifié avec aucune forme de gouvernement, non plus qu’il ne s’est jamais déclaré incompatible avec aucun pouvoir politique ; voilà le sens de cette parole du Christ que M. de Lamennais déclare aujourd’hui ne pas comprendre : Rendez à César ce qui est à César. Le christianisme ne se révoltait pas contre la domination des empereurs romains, il s’y prenait mieux ; il changeait les cœurs des hommes sur lesquels régnaient les empereurs.

Aujourd’hui le christianisme est de plus en plus provoqué, par l’esprit et les besoins de notre siècle, à exercer sur les sociétés une influence heureuse. Il y a partout en Europe de grandes misères à soulager, il y a de vieilles lois dont il faut corriger la rigueur, il y a des

  1. Esprit des Lois, liv. XXIV, chap. 3.