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devinssent aussi frappantes, les deux frères avaient passé plusieurs années dans un accord parfait de vues et de sentimens. Ils avaient eu le temps de constituer l’école romantique. Ce mot nous est venu de l’Allemagne, et cependant il n’a pas exactement pour nous le sens que lui ont donné les Allemands ; il nous représente surtout l’idée de la liberté dans l’art : cette liberté, personne ne la conteste en Allemagne. Sous ce rapport, tout le monde est romantique ; mais il y a de plus une école de poètes et de critiques qui, considérant comme désormais stérile le champ tant de fois labouré de l’antiquité, et craignant par-dessus toutes choses de profaner la poésie au contact de notre vie bourgeoise, cherchèrent à l’art un nouvel objet en harmonie avec nos croyances, et assez reculé pourtant dans le passé pour offrir de l’attrait à l’imagination. Entre l’antiquité et les temps modernes, ils s’arrêtèrent au moyen-âge, et tentèrent de remettre en honneur les mœurs chevaleresques et le merveilleux chrétien. C’est la tâche qu’allait bientôt accomplir en France M. de Châteaubriand avec plus de passion et d’éclat, mais avec moins de science et de raison. En Allemagne, ces tendances étaient favorisées par les doctrines de Kant et de Fichte, en attendant toutefois M. Schelling et la philosophie de la nature, qui répondait mieux aux théories esthétiques des réformateurs. Wieland avait déjà préparé les esprits à ce renouvellement de l’art par son poème d'Oberon ; il fallait ériger en système ce qui n’était de sa part qu’une fantaisie. Novalis et M. L. Tieck furent les esprits féconds et vraiment originaux de la nouvelle école ; les deux Schlegel en furent surtout les critiques, ou, si l’on peut ainsi parler, les champions, toujours prêts à l’attaque comme à la défense. En dehors de ce cercle, les romantiques comptaient de nombreuses alliances ; jamais cependant ils n’adoptèrent franchement Schiller. Épris de l’art pour lui-même, ils ne purent pas s’élever à ce pur idéalisme ni s’associer aux luttes orageuses de cette nature tourmentée. Ils réservèrent leur admiration pour Goethe, dans l’esprit duquel la nature se reflétait plus librement, qui, grace à sa superbe indifférence, maintenait l’art dans des régions plus sereines.

Les vues personnelles ne nuisirent pas toutefois à la communauté des efforts ; on comprit qu’il y avait avant tout une cause générale à servir. Dès son arrivée à Iéna, en 1795, M. Schlegel prit part à la rédaction du journal les Heures, qu’avait fondé Schiller dans une pensée de libre association ; mais il ne put en prolonger long-temps l’existence, non plus que ses illustres collaborateurs : les Heures cessèrent de paraître, malgré tant de chances de succès, après avoir lutté quelques