Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faits à son tombeau et de nombreuses offrandes qui y furent déposées. Ce malheur redoubla la tristesse de M. Schlegel. On était alors à la fin de 1802 ; il quitta Iéna, et se rendit à Berlin. Sans doute, il fuyait des lieux qui lui rappelaient de cruels souvenirs ; peut-être aussi les blessures de l’amour-propre ne furent-elles pas complètement étrangères à cette détermination. La correspondance de Goethe et de Schiller témoigne à son égard de dispositions dont il put être blessé. Goethe apporta souvent dans ses rapports une indifférence railleuse qui laissait trop de liberté à son jugement, et, pour Schiller, la noblesse même et le désintéressement de son cœur purent lui donner des exigences excessives et le porter à envisager certains défauts de nature avec trop de sévérité.


II.

Lorsqu’il quitta Iéna, M. Schlegel était âgé de trente-cinq ans. La lutte qu’il avait soutenue lui avait donné l’occasion de poser tous les principes qu’il devait développer plus tard ; mais, bien que cette première partie de sa vie soit la plus diversement occupée, ce n’est pas pour nous la plus intéressante. Le nom de M. Schlegel est entré en France joint à celui de Mme de Staël. Il la vit pour la première fois à Berlin, non pas cependant dès son arrivée en cette ville. Dans les premiers temps de son séjour, il avait été chargé de faire un cours sur la littérature et les arts. Il avait achevé sa tragédie d'Ion, imitée de la pièce d’Euripide. Bien que, dans cette imitation, l’auteur se fût réservé une part d’originalité, ce n’était guère là qu’une tentative érudite qui ne paraît se rattacher en rien à ses théories. Peut-être même, en comparant la pièce allemande à la tragédie grecque, pourrait-on prendre une revanche facile de la comparaison des deux Phèdres. Vers le même temps, M. Schlegel agrandissait ses vues sur l’art romantique par l’étude du théâtre espagnol, et traduisait plusieurs pièces de Calderon, qui firent dire à Schiller : « Que de fautes Goethe et moi nous aurions évitées, si nous avions connu Calderon plus tôt ! » Enfin M. Schlegel publiait, sous le nom de Blumenstraeusse, un choix de poésies italiennes, espagnoles et portugaises, et les faisait précéder d’une dédicace poétique dont nous citerons les premiers vers, parce qu’ils font comprendre, beaucoup mieux que nous ne saurions l’exprimer, comment cet esprit si vaste savait unir dans une commune admiration l’imagination brillante des races méridionales et le caractère sévère des peuples du Nord.