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de l’Esprit, titre tout-à-fait oriental, auquel il eut l’instinct de joindre cet autre, plus satisfaisant pour nous : Voyage au Soudan et parmi les Arabes du centre de l’Afrique.

Il était naturel qu’après avoir décliné ses noms de fils d’Omar et petit-fils de Soleyman, Mohammed-el-Tounsy racontât les aventures de son père et de son aïeul. Cette touchante narration, faite à la manière biblique, et dans laquelle, il faut le dire, l’expédition française, qui occupe trop peu de place, se trouve étrangement défigurée, est comme le premier chapitre de la vie du cheikh. C’est l’usage de son pays de prendre les choses ab ovo. Il ne s’agit donc pas d’un Européen qui écrit, mais d’un Arabe qui raconte, et ses souvenirs débordent. Bien qu’on soit tenté tout d’abord de rejeter cette introduction comme un hors-d’œuvre, on s’intéresse bientôt à la simple histoire d’une famille asiatique dispersée sur trois points du continent africain, et se respectant elle-même dans sa pauvreté. On sent palpiter les tronçons du serpent qui cherchent à se réunir ; on entend les voix qui s’appellent dans l’immensité du désert.

Après son arrivée dans la capitale de l’Égypte, le jeune Mohammed, plein de joie et d’enthousiasme, vint rejoindre ses compagnons la veille du départ et passer la nuit au milieu d’eux. A l’aurore, on descendit au vieux Kaire, on fit agenouiller les chameaux sur le bord du grand fleuve, et là on attendit, car c’était un vendredi, jour néfaste jusqu’à ce que la prière de midi l’ait sanctifié. Puis la barque prit le large ; le vieux Kaire s’éloigna, et de vagues inquiétudes, mêlées de regrets, assiégèrent le cœur du jeune musulman. Peu s’en fallut que son courage ne l’abandonnât, qu’il ne demandât à revenir sur cette rive déjà pleurée. A la vue des faces noires qui l’entourent, le descendant de Sem se rappelle la haine qu’ont vouée aux siens les fils de Cham. Pour vaincre cette première faiblesse, il a recours à la poésie, son talisman en toute rencontre, et se rappelle des vers comme ceux-ci :

« Voyage, tu trouveras des honneurs et des merveilles. La perle voyage et monte sur les couronnes !

« Cours loin de ta patrie ; va chercher la gloire, voyage ; dans tes excursions, tu peux rencontrer ces cinq utilités :

« Chasser le souci, faire fortune, acquérir la science, orner ta mémoire, hanter les grands ! »

Au soir, la barque jeta l’ancre devant Minyeh, qui n’était pas alors une jolie ville industrielle, un chef-lieu de préfecture, remarquable par