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sur la Littérature. Le peu d’intervalle qui sépara ces trois évènemens littéraires, un tel accord entre des esprits également indépendans, sont par eux-mêmes des faits considérables, et montrent combien était vrai, même avant d’être senti, le besoin de rompre avec le passé, ou du moins de le transformer et de le rajeunir. Composées avec des préoccupations moins exclusives et moins dogmatiques, les leçons de M. Schlegel purent convaincre ceux qui s’étaient tenus en garde contre les séductions d’une imagination trop brillante, capable de rendre suspecte la vérité même. M. Schlegel, d’ailleurs, avait surtout en vue le théâtre : sous ce rapport, il n’eut pas de précurseurs. Il devança de vingt années l’éclatante préface dans laquelle le jeune auteur de Cromwell, appelant la mémoire à l’aide du génie, croyait inventer de toutes pièces un système nouveau. Ce n’est cependant pas à M. Schlegel que revient l’honneur d’avoir signalé le premier le double aspect sous lequel le poète dramatique doit envisager la nature. Cette théorie a une plus noble et plus antique origine : il faut remonter jusqu’à Platon pour en trouver le premier germe. A la fin du Banquet, après que tous les autres convives se furent retirés, Socrate resta à causer sans rancune avec Aristophane et Agathon. En les pressant de questions, il les contraignit d’avouer qu’il appartient au même homme de composer des tragédies et des comédies, que le poète tragique est, en vertu de son art, poète comique ; au temps de Platon, nul exemple, à vrai dire, n’autorisait cette assimilation de facultés que tout le monde considérait comme distinctes, mais le drame satyrique offrait un intermédiaire entre la dignité tragique et la gaieté comique qui eût pu en amener le mélange, et déjà Aristophane, au milieu des scènes les plus licencieuses, s’était élevé comme en se jouant à des accens vraiment lyriques. Enfin, chez Homère, lorsqu’Hector dit adieu à Andromaque, et remet son fils entre ses bras, elle le reçoit avec un sourire mêlé de larmes : Δαχρυόεν γελάσασα. Ces vérités si vieilles semblaient une grande nouveauté en France au moment où M. Schlegel tenta de les populariser ; elles ne sont plus guère contestées aujourd’hui, et c’est surtout à lui que nous devons d’avoir multiplié nos jouissances, en signalant à notre attention des modèles trop négligés. Si toutes les espérances de M. Schlegel ne se sont pas réalisées, il a du moins préparé les esprits à ce que nous garde l’avenir. Viennent maintenant les chefs-d’œuvre, et les sympathies ne leur manqueront pas, en dépit de gens intéressés à croire que les chefs-d’œuvre abondent, et que la justice seule est à venir.

Si l’on en croit M. Schlegel, ce n’est pas assez pour un critique de se