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un banquier vêtu de noir, causant avec un avocat de son espèce des droits électoraux !

Comme son grand aïeul, Louis XV eut recours toute sa vie aux emprunts. Tout déplorable qu’il fût, ce moyen résistait parfois, parce que les remboursemens ne s’étaient pas effectués en toute occasion avec l’exactitude convenable. Beaucoup de financiers avaient fini par reculer devant le téméraire honneur de prêter leurs pistoles au roi. La menace d’une banqueroute inévitable les effrayait.

À cette époque de doute sur la solvabilité de la cour, il fut proposé à Bouret de prêter un certain nombre de millions à Louis XV, dont les coffres avaient été mis à sec par des dépenses imprévues, comme si de telles dépenses ne doivent pas toujours se prévoir les premières. Bouret ne fut pas des plus faciles à se laisser toucher, mais il fut le plus audacieux. Après avoir stipulé les garanties de l’emprunt, il ajouta qu’il ne consentirait à obliger la cour, car le nom du roi n’était jamais prononcé ouvertement dans ces sortes de marchés, qu’à la condition expresse d’être présenté à Louis XV. Il tenait singulièrement à un honneur dont ses descendans auraient le droit de s’enorgueillir un jour. Ne pouvant leur léguer un nom illustré par les armes ou sous la toge, il trouvait un dédommagement à l’obscurité de son origine dans l’immense retentissement que donnerait à sa vie la haute distinction dont il était jaloux. Le mandataire de la cour suspendit sur-le-champ la négociation : il n’osa, avec quelque raison, prendre sur lui de laisser espérer à Bouret une satisfaction si démesurée. Être présenté au roi Louis XV, parler au roi ! mais que de gentilshommes de l’origine la meilleure n’auraient pas obtenu, sans des motifs de la plus profonde gravité, l’honneur sollicité par le simple financier Bouret ! Le conduire à Versailles, le mettre face à face avec le roi ! mais, après une pareille infraction à l’étiquette, il n’y avait plus d’étiquette, par conséquent plus de cour et presque plus de monarchie. L’or devenait par trop insolent !

Cependant l’intermédiaire officieux rapporta au gouverneur du palais, et celui-ci au premier ministre, le désir de l’ambitieux prêteur.

Dans ce trajet, la prétention de Bouret fut couverte de moqueries infailliblement très spirituelles. Il fallait pourtant se décider. Assis sur son coffre, le financier attendait une réponse claire et nette.

Prenant le roi dans un moment de bonne humeur, le premier ministre tenta d’aborder la difficulté. Quoique très large en matière de mœurs, le roi Louis XV, il ne faudrait pas s’y tromper, n’était pas