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Nous ignorons complètement le parti auquel s’arrêta Bouret ; il est probable qu’il fit graver sous la statue les vers de Voltaire, et qu’il attendit ensuite l’effet que l’œuvre du statuaire et celle du poète devaient produire sur Louis XV.

Louis XV était déjà bien vieux quand il s’engageait si témérairement à savourer une pêche dans les jardins de son financier, et il était de cinq ans plus vieux encore lorsque Bouret, qu’on lui présentait pour la troisième fois, mais cette fois aux Tuileries, lui rappelait avec une assurance respectueuse la flatteuse espérance qu’il lui avait donnée d’aller chasser dans son parc.

Cette fois Louis XV se souvint parfaitement de sa promesse. Avec un esprit infini, car Louis XV a été le Voltaire des rois, et ce ton d’exquise courtoisie qu’il avait puisé sur les genoux de Mme de Prie, et épuré plus tard auprès des plus spirituelles femmes du monde, il fit remarquer à Bouret qu’il était bien vieux pour chasser sur les terres des autres. Il l’assura cependant que, s’il persistait, il était prêt à ratifier ses paroles, malgré l’âge et le besoin du repos. Confus de tant de bontés, Bouret se jeta à genoux, et protesta que, si quelque chose pouvait le consoler de n’avoir pas eu l’honneur de voir le roi poursuivre le cerf dans son domaine, c’étaient à coup sûr les paroles qu’il venait d’entendre. « Relevez-vous, monsieur Bouret, lui dit ensuite le roi, et assurez Mme Bouret que, dès que mes graves atteintes de goutte m’auront quitté, j’irai faire la médianoche à votre château, puisque la chasse m’est interdite. » Bouret se releva et accompagna le roi, qui entrait dans ses petits appartemens.

— Je n’ai plus rien à désirer sur la terre, pensa Bouret en quittant les Tuileries pour regagner son hôtel. Sa majesté s’est excusée de n’être pas venue chasser chez moi, et elle s’invite d’elle-même à une médianoche à mon château. La pêche à cueillir dans mon jardin, ce n’était qu’un déjeuner, la chasse un dîner ; mais la médianoche, c’est le souper et le bal. Sa majesté couchera chez moi, comme Louis XIV coucha chez le prince de Condé à Chantilly, et chez le duc de Montmorency à Écouen.

Nous avons dit les sommes ruineuses dépensées par l’excellent Bouret à la construction de son château ; nous y ajouterons, outre celles qu’il continuait à prêter au roi, les sommes qu’il prodigua si inutilement pour remplir son parc de cerfs et de sangliers. Sa fortune se trouva largement compromise ; mais l’ambition l’avait poussé de vague en vague jusqu’au milieu de la haute mer : il était moins naïf maintenant dans son désir de recevoir chez lui le roi. Pourquoi sa