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Rougeaux voient blanchir entre les rameaux de la clairière le toit aigu d’un petit pavillon, ils auront sous les yeux tout ce qui reste de la colossale construction de Bouret, la maison du gardien !

Il reste aussi les fameuses caves de marbre et de pierre de taille dont nous avons parlé, et auxquelles les habitans des localités voisines rattachent une légende fort répandue. Son caractère tout-à-fait allemand, empreint de la couleur brune des mines du Hartz, la fait sortir de la vulgarité de ces sortes de traditions orales. Le trompette perdu (tel est le nom de cette légende) nous a paru mériter une place dans l’histoire du riche financier.

Frappés des prodigalités intarissables de Bouret, les paysans lui attribuèrent des richesses fabuleuses. Non-seulement il était plus riche que le roi, ce qui était vrai, puisqu’il prêtait au roi, mais il était riche comme un sorcier. S’il ne fabriquait pas de l’or, il en possédait tant et tant, que les caves de son château en étaient pleines. Le tiers de la forêt de Rougeaux, sous laquelle ces splendides caves se prolongeaient en tous sens, était pavé de pièces et de lingots. Les diamans n’y manquaient pas non plus assurément.

À la révolution, le château fut démoli, mais les caves triomphèrent de la destruction, secrètement protégées par la puissance du génie qui gardait l’or du fermier-général. Vainement les plus braves, les plus hardis tentèrent-ils de s’aventurer dans le souterrain, d’où ils ne devaient sortir que riches à millions ; le génie les repoussa sans cesse par le souffle de la terreur, après quelques pas risqués dans l’obscurité la plus épaisse. Chaque année voyait plusieurs tentatives semblables et de nouvelles défaites, mais qui toutes, au lieu de décourager la cupidité, ne servaient qu’à l’irriter davantage. La légende en était là, lorsqu’un enfant du pays, de retour de l’armée, un trompette, se la lit minutieusement raconter à la veillée de minuit. Chacun cherchait sur son visage bruni par tous les soleils quelques marques d’étonnement ou d’effroi ; mais le trompette avait vu le Caire et Moscou : il s’étonnait peu, il ne s’effrayait jamais. Il était entré dans Rome en conquérant ; son cheval avait mangé le gazon sacré des jardins du Vatican. Notre trompette n’avait pas plus de préjugés que son cheval. Quand il eut ouï la légende, il secoua sa pipe, se caressa la moustache, et s’écria en riant : « N’est-ce que cela ? La nuit est belle ; de ce pas, si vous le permettez, je vais descendre dans ces caves, et, par la barbe de muphti que j’ai prise au Caire ! je n’en sortirai qu’après les avoir fouillées comme les poches d’un Prussien ; à moi un bâton et une lanterne ! »

La surprise fut générale. On voulut détourner le trompette de ce