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projet, dont l’inutilité était aussi bien démontrée que le danger était certain depuis plusieurs éboulemens constatés dans les caves : on lui parla du génie, du démon, des gnomes ; il fut inébranlable. Tout ce qu’on obtint de lui au nom de sa mère et de sa fiancée, ce fut que pendant son trajet souterrain il ne cesserait de sonner de sa trompette, afin de rassurer ceux qui le suivraient pas à pas au-dessus de sa tête. Soit ! dit-il, et l’expédition commença. On accompagna en foule le trompette jusqu’à l’entrée des caves, dans les sombres cavités desquelles il ne tarda pas à s’enfoncer. Pendant un quart d’heure, on entendit la fanfare, tantôt en éclats bruyans, tantôt en sons étouffés, courir et serpenter sous la voûte de la forêt. Que de trésors il voit ! que de trésors il touche ! se disait-on, jaloux déjà des richesses du trompette. Tout à coup la fanfare cesse : on écoute, on s’interroge, on écoute encore, on penche la tête, on appelle le vent, on colle l’oreille contre terre ; rien ! l’effroi gagne la compagnie. Que lui est-il arrivé ?… que fait-il ?… il remplit peut-être ses poches de doublons… La fanfare se fait de nouveau entendre au bout d’une demi-heure ; mais le trompette ne reparaît pas… Un moment la fanfare jaillit d’un point, on y court ; une autre fois elle s’élance d’un point diamétralement opposé, on s’y précipite ; la fanfare a encore changé de place… On eût dit un feu follet sous la forme d’un son. Jusqu’au jour, cette musique décevante, vagabonde, menteuse, transpira à travers la terre. Aux premières lueurs de l’aube, elle s’éteignit, et le trompette ne sortit pas des entrailles de la forêt. Le lendemain, pareil silence ; les jours suivans, pareil désespoir. Le trompette avait infailliblement péri victime de sa témérité.

Cependant, un an après, un vieux bûcheron prétendit avoir entendu, au milieu de la nuit, sonner de la trompette sous la terre, à quelque cent pas des ruines du château Bouret ; un garde-chasse du château de la Grange affirma que la même nuit il avait entendu le même bruit. En fallait-il davantage pour croire que le trompette perdu errait encore dans les caves mystérieuses de Bouret ? L’année suivante, des braconniers, eux qui ont l’oreille si fine, répétèrent aussi qu’ils avaient été surpris pendant la nuit par les sons plaintifs d’un cor souterrain. Depuis lors, les paysans assurent que trois fois par an, par une belle nuit d’hiver, le trompette perdu se révèle aux gens qui traversent la forêt. Le malheureux, dit la légende, ne peut plus retrouver l’entrée des caves, ou bien, ce qui n’est pas moins probable, il ne veut pas se décider à quitter une partie de l’or dont il est surchargé.

Telle est la jolie légende du trompette perdu et la fin de l’histoire du château Bouret.


LEON GOZLAN.