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des admirateurs d’Aristarque qui préféraient expressément ses erreurs à l’évidence de la vérité. « Nous suivons ici Aristarque, dit un commentateur d’Homère, plutôt que Hermapias, bien que celui-ci nous paraisse avoir raison[1]. » Les élégans écrivains de Rome y importèrent de bonne heure cette superstition pour un nom tout-puissant à Alexandrie. Fiel Aristarchus, a dit Horace. Aristarque a personnifié chez nous, comme au siècle d’Auguste, la perfection du goût unie à cette franchise délicate du caractère qui donne à la raison toute son efficace et son autorité dans l’appréciation des œuvres de l’art. Et pourtant, il y a un demi-siècle à peine, celui qui aurait voulu justifier par des faits une si grande renommée n’aurait guère trouvé à recueillir dans beaucoup de livres qu’un petit nombre de notules grammaticales sans importance et sans intérêt. On se souvenait bien qu’un de ces héroïques aventuriers qui, lors de la prise de Constantinople, sauvèrent les débris de la littérature grecque au milieu de l’inondation barbare, Jean Aurispa, annonçait à ses amis deux volumes tout pleins des commentaires d’Aristarque sur l’Iliade ; mais la promesse était restée sans effet, et Bayle, écrivant son article Aristarque, ne trouvait guère plus d’une ou deux pages de renseignemens authentiques sur ce grand personnage ; il n’a rien moins fallu, pour allonger son travail, que la discussion des doutes et des erreurs accumulés sur ce sujet par les biographes modernes[2].

C’est la France qui a eu l’honneur d’exhumer sous des ruines oubliées une partie au moins de l’œuvre d’Aristarque. Des érudits avaient déjà remarqué dans la bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, un vieux manuscrit de l’Iliade d’Homère enrichi de notes où le nom d’Aristarque était souvent cité. En 1781, un Français, d’Ansse de Villoison, envoyé par le gouvernement en Italie pour y fouiller les bibliothèques, retrouva ce trésor. Il en comprit toute la valeur et ne se donna pas de repos qu’il n’en eût procuré la publication[3]. Grace à son zèle, l’Europe posséda bientôt une édition de l’Iliade annotée, non plus par quelque professeur de l’université d’Iéna ou d’Oxford, mais par tous les grammairiens d’Alexandrie, une espèce de variorum, comme diraient

  1. Scholies de Venise sur l’Iliade, IV, 235. Comparez II, 316 et passim.
  2. L’article Aristarque, dans l’Encyclopédie allemande d’Ersch et Gruber, écrit par un bien savant et bien ingénieux philologue, ne nous a pas semblé digne du sujet. L’auteur n’a pas voulu donner autre chose qu’une courte biographie.
  3. Venise, 1788, in-folio, avec de savane prolégomènes. Une nouvelle édition du commentaire, avec des tables alphabétiques fort utiles, a été publiée à Berlin, en 1825, par Imm. Bekker ; 1 vol. in-4o.