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sur Homère. Plus heureux que Longin, qui voit diminuer son héritage, Aristarque voit donc le sien s’étendre et s’assurer chaque jour. Peut-être même allons-nous y ajouter encore en rapprochant ici quelques documens restés épars chez les biographes et les érudits, et en essayant d’offrir un ensemble de la vie d’Aristarque et de ses travaux.

Mais cette étude serait imparfaite, si nous ne remontions un peu plus haut pour replacer Aristarque au milieu de son siècle et de l’école même dont il fut le plus glorieux représentant.


II.

Ce fut une grande chose, à coup sûr, que la fondation d’Alexandrie, de son Musée, de sa bibliothèque. Une politique habile se montre à chaque pas dans cette histoire des Ptolémées que nous recomposons aujourd’hui, faute d’écrivains originaux, avec des débris d’inscriptions, des fragmens de manuscrits mutilés. Athènes achevait sa tâche littéraire. Plus de grand poète tragique ou lyrique ; la comédie se continuait encore avec honneur, mais sans originalité, par les successeurs de Philémon ; en philosophie, plusieurs écoles secondaires se partageaient l’héritage de Platon et d’Aristote. Alexandre conçut le projet de déplacer le centre de la Grèce, d’ouvrir un autre Pirée à l’activité commerciale des cités grecques, et de dérouter, si j’ose ainsi dire, le patriotisme hellénique que tant d’exemples immortels avaient habitué à considérer Athènes comme sa véritable métropole. Il fonda Alexandrie, sur les bords du Nil, aux avant-postes de la civilisation égyptienne, pour servir de rendez-vous à toutes les nations du monde alors connu : c’était un véritable coup d’état et qui ne manqua pas son effet. En quelques années, Athènes eut une rivale, une rivale dont la splendeur devait l’éclipser et lui survivre. Il est vrai qu’avec les coups d’état on ne fonde pas une littérature. Grace à l’énergique volonté de ses princes, Alexandrie posséda bientôt un beau port, un Musée, des bibliothèques ; elle appela, elle accueillit libéralement tous les poètes, tous les savans de la Grèce qui voulurent y chercher fortune. Les Juifs eux-mêmes, qui apparaissent ici pour la première fois dans l’histoire grecque avec leur caractère national encore reconnaissable aujourd’hui, les Juifs furent admis, invités peut-être au partage de cette hospitalité généreuse. Le concours de tant de nations donna bientôt naissance à un dialecte nouveau, qui s’appela le dialecte alexandrin.