Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vers ce même temps entra au service du sultan Tyrâb, en qualité de kôrkoa ou lancier, un personnage étrange, que son talent extraordinaire, son dévouement à la dynastie, ses aventures et ses malheurs désignent comme le héros de cette dramatique histoire. Mohammed-Kourrâ (c’est le nom du jeune soldat) fut bientôt distingué par le prince, qui lui accorda un poste de confiance, celui d’intendant du palais de la famille impériale. En Orient, un pareil emploi est trop élevé pourrie pas exposer à la haine et à la calomnie celui qui l’occupe ; Kourrâ ne tarda pas à être accusé, par un de ses collègues, d’entretenir des relations suspectes avec l’une des femmes secondaires du sultan. Instruit de cette fausse dénonciation, Kourrâ s’enferme dans sa hutte, s’arme d’un couteau, se mutile de sa propre main, et court se présenter au souverain, en lui disant, dans des termes trop énergiques pour être reproduits ici : « Vois, maintenant, si tu dois te défier de ton serviteur ! » Et il tomba évanoui. A peine remis de son affreuse blessure, et envoyé près de l’émyn Aly-Ouad-Djami qui lui confia aussi l’intendance de sa maison, Kourrâ vainquit les répugnances de son nouveau maître, et sut se rendre indispensable. Il fit plus, il répandit secrètement des aumônes parmi le peuple au nom de l’émyn, qui, surpris de se voir de tous côtés accueilli par des bénédictions auxquelles il ne comprenait rien, fut obligé de recourir à la ruse pour découvrir l’officieux mensonge de son intendant. Dès-lors il conçut pour lui une grande estime, et l’appela à de plus hautes fonctions.

Un descendant de Mouçabba régnait alors dans le Kordofâl : c’était le sultan Hâchim, homme audacieux et entreprenant. Il avait organisé une troupe de dix mille noirs bien armés, rassemblé sous ses ordres des gens du Dongolah, des Arabes nomades et des habitans de la frontière ; comptant sur une si puissante armée, il songea à envahir le Dârfour. Si cette guerre semblait menaçante à Tyrâb, souverain