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l’a du moins consacré sur le champ de bataille de ses écoles par une innocente imitation.

Maintenant, si nous voulons venir aux faits et apprécier le chef-d’œuvre de la critique alexandrine, que trouvons-nous enfin dans les commentateurs et particulièrement dans ce fameux recueil que nous a rendu la bibliothèque de Venise ? Des centaines de minuties grammaticales sur le genre des adjectifs, sur l’augment syllabique, sur les mots composés, sur la déclinaison et la conjugaison, sur l’accent, l’orthographe et la quantité, sur le vrai sens de quelques mots obscurs, toutes choses bien précieuses pour un éditeur du texte homérique, mais peu saisissables pour ceux qui ne demandent à l’antiquité que l’esprit et comme le suc de ses meilleurs ouvrages. Aussi Wolf, qui avait embrassé avec tant de puissance le beau problème de l’épopée grecque, semble-t-il désespérer que le mérite d’Aristarque nous soit jamais bien connu hors du cercle étroit de la philologie grammaticale. Essayons cependant d’aller un peu plus loin qu’il n’osait faire, et de saisir à travers cette poussière d’érudition les traits principaux de la critique littéraire dont Aristarque a paru offrir le parfait modèle.

La doctrine d’Aristarque se rattache tout entière à un grand principe : il a compris qu’Homère représente seul tout un âge de la civilisation et de la langue grecque. On ne pouvait lire alors aucun poème authentique antérieur à Homère ou même contemporain d’Homère. Ce poète ne devait donc être expliqué que par lui-même, et il fallait se garder d’attribuer à ses héros des idées, des mœurs dont le témoignage ne fût expressément contenu dans ses poèmes. Une première conséquence de ce principe, c’est que tout devait être pris à la lettre dans les fables d’Homère. D’anciens philosophes, admirateurs sincères de cette poésie, mais tremblant pour la morale, si les dieux donnaient l’exemple de la violence et des vices, imaginaient d’expliquer les fables homériques par des allégories subtiles. Ainsi la grande bataille entre les dieux était ramenée à la lutte des élémens. Apollon combattant Neptune, c’était le feu partiel luttant contre l’humide tout entier ; Junon et Diane, c’étaient l’air et la lune ; Hermès et Latone, la raison et l’oubli ; Vulcain et le Xanthe, c’étaient le feu tout entier et l’humide partiel, etc. Quand Jupiter jette Vulcain du haut du ciel dans l’île de Lemnos, on trouvait le procédé un peu brutal pour un dieu à l’égard de son fils. Vulcain avait couru un grave danger. Il en fut quitte, il est vrai, pour rester boiteux ; mais ce petit mal était un échec inconvenant à la dignité divine. Voici comment les philosophes (et Cratès les suivait ici, comme en d’autres cas semblables)