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que vous êtes nus ! laissez-nous faire, nous allons vous habiller avec les défroques du passé ; le clinquant en est joli. Imprudens qui ne trompent qu’eux-mêmes, et ne savent qu’irriter, en les provoquant par de fausses espérances, ces légitimes désirs qu’ils essaient de leurrer ! Vous du moins, prince, quand vous luttez contre l’impossible, vous ne vous abusez pas et ne vous mettez point en frais inutiles. Vous ne vous fatiguez pas à chercher des constitutions qui ne soient point des constitutions, un mouvement qui ne soit point le mouvement ; vous dites tranquillement que tout mouvement est mauvais, et vous rangez vos armées en travers ; vous ne vous souciez pas de rivaliser d’imagination avec la pensée publique, vous avez bien assez de la réprimer ; vous ne cherchez point tel ou tel objet de rencontre, à lui livrer en pâture ; vous ne l’encouragez point, vous l’arrêtez court. A toutes ces forces vives qui vous pressent, vous n’avez jamais opposé que la force d’inertie. Depuis trente ans révolus, vous êtes resté sur la défensive, et, lâchant pied chaque jour, chaque jour vous avez repris pied. Ç’a été là votre génie ; pendant trente ans, vous avez su ne rien faire. Vos détracteurs ont beau dire que c’était le génie de la médiocrité ; — il n’y a que la médiocrité qui s’agite au hasard et remue pour remuer. Ministre souverain d’un état mal assemblé, vous n’ignoriez pas qu’il ne fallait qu’un choc pour en déjoindre les morceaux ; vous avez employé votre vie à vous garer. Vous êtes le premier politique dont toute l’ambition ait été d’écarter les pierres du chemin des autres, de peur qu’ils ne vous dérangeassent en tombant. Vous n’avez eu ni passion ni système ; vous n’avez voulu que le silence et l’immobilité du statu quo. C’est, après tout, une bien triste sagesse, c’est un bien injuste mépris pour les vœux les plus sacrés du temps dont vous êtes ! Que celui-là pourtant vous condamne sans pitié qui eût trouvé moyen de faire durer autrement cet empire informe dont les destinées pèsent sur vous ! Que celui-là vous maudisse qui se connaîtrait le courage de sacrifier au progrès général des idées l’éclat et la puissance attachés pendant trois siècles au nom de son pays, le vertueux patriote qui saurait bravement accepter un si profond abaissement de la fortune nationale pour le profit commun de l’humanité !

C’est qu’en effet, vous, prince, vous êtes un patriote qui n’avez plus de patrie ; le temps est passé où les royaumes se gagnaient dans les traités et dans les batailles, au mépris de l’intérêt et du droit des sujets. A chaque pas de l’esprit moderne, vous perdez les vôtres : que vous restera-t-il demain ? Votre ennemi, c’est l'inévitable, ainsi qu’on disait dans les premiers âges du monde en parlant du destin ; c’est la