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pourtant ne l’oserait prétendre ; mais est-ce à dire qu’il ne doive point réfléchir sur lui-même, s’observer, et voir s’il a usé de toutes ses facultés, s’il n’a point mis trop de confiance dans les unes et pas assez dans les autres ? est-ce à dire qu’il ne doive point prendre note de réclamations trop générales pour être seulement spécieuses ? Non pas, assurément. Il y a là comme un grand procès qu’il doit gagner, parce qu’on ne pourrait l’empêcher d’y être à la fois juge et partie ; mais encore lui faut-il tous ses titres. Il faut, par exemple, que cette froide et grave raison de notre âge se demande s’il n’y a point au fond d’elle-même, tout comme au fond des plus antiques traditions, une abondante richesse de forces morales ; il faut qu’elle apprenne à tirer d’elle toutes ces ressources de sentiment dont on lui reproche de manquer. Non, certes, elles ne lui manquent pas ; rien de ce que l’homme éprouve n’est hors de sa raison ; mais, attaché depuis si long-temps au labeur de l’émancipation, toujours armé pour la bataille et luttant au dehors, l’esprit moderne, l’esprit philosophique ne s’est pas encore assez occupé de pourvoir aux besoins de la vie intérieure, aux douces consolations des ames ; il a presque abandonné cette tâche précieuse aux croyances antiques ; il a laissé dire que c’était là l’office privilégié des cultes positifs. On en a conclu qu’il ne saurait lui-même le remplir, et c’est ainsi qu’on a commencé à renier sa puissance. N’est-il pas temps aujourd’hui qu’il avise ? De ce point de vue peut-être il est bon maintenant de rappeler les origines du piétisme allemand, et plus particulièrement sa propagation dans le Wurtemberg.

La sainte-alliance s’était formée sous la garantie de la religion ; à la mode de l’ancienne diplomatie, elle s’était mise sous les auspices de la trinité ; on avait même cru nécessaire de prévenir la Sublime-Porte qu’on n’avait pas l’intention de recommencer les croisades. Cet esprit de dévotion chrétienne n’agit pas de même sur les diverses classes de la société allemande. Les classes éclairées, les classes moyennes, entrèrent de plus en plus, par opposition comme par conscience, dans les voies du rationalisme. La morale stoïcienne de Kant et de Fichte resta l’idéal de la règle pratique. Ce furent là les dieux qui régnèrent long-temps sur l’esprit de la bourgeoisie, et aujourd’hui même que la science s’est élevé de nouveaux autels, les hommes d’un certain âge, qui ne sont ni des ignorans, ni de beaux-esprits de profession, s’en tiennent, pour la plupart, au culte de leur jeunesse. C’étaient pourtant des dieux sévères, d’humeur peu populaire, d’accès peu gracieux. Il n’y avait point là de quoi parler à la multitude. Celle-ci prit au sérieux le programme de ses bien-aimés souverains. Ce qu’il y a