Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agréaient en rien ; l’antipathie qu’il avait pour eux serait allée jusqu’à l’animosité, s’il avait pu prendre sur lui de haïr. On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait ; il eut des talens divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique.

En esquissant sous ces traits l’idée que je me fais de M. Étienne, j’ai assez indiqué les points sur lesquels je me sépare, comme critique, des appréciations de M. de Vigny. Je sais tout ce que permet ou ce qu’exige le genre du discours académique, même avec la sorte de liberté honnête qu’il comporte aujourd’hui : aussi n’est-ce point d’avoir trop loué son prédécesseur que je ferai ici un reproche à l’orateur-poète ; mais je trouve qu’il l’a par endroits loué autrement que de raison, qu’il l’a loué à côté et au-dessus, pour ainsi dire, et qu’il l’a, en un mot, transfiguré. Son élévation, encore une fois, l’a trompé ; sa haute fantaisie a prêté des lueurs à un sujet tout réel ; c’est un bel inconvénient pour M. de Vigny de ne pouvoir, à aucun instant, se séparer de cette poésie dont il fut un des premiers lévites, et dont il est apparu hier aux yeux de tous comme le pontife fidèle, inaltérable. Cet inconvénient (car c’en est un) a été assez racheté, dans ce discours même, par la richesse des pensées, par le précieux du tissu et tant de magnificence en plus d’un développement.

M. le comte Molé a répondu au récipiendaire avec la même franchise que celui-ci avait mise dans l’exposé de ses doctrines. C’est un usage qui s’introduit à l’Académie, et que, dans cette mesure, nous ne saurions qu’approuver. Une contradiction polie, tempérée de marques sincères d’estime, est encore un hommage ; n’est-ce pas reconnaître qu’on a en face de soi une conviction sérieuse, à laquelle on sent le besoin d’opposer la sienne ? Notre siècle n’est plus celui des fades complimens ; la vie publique aguerrit aux contradictions, elle y aguerrit même trop ; qu’à l’Académie du moins l’urbanité préside, comme nous venons de le voir, à ces oppositions nécessaires, et tout sera bien. Les peaux les plus tendres (et quelles peaux plus tendres que les épidermes de poètes !) finiront peut-être par s’y acclimater.

Il y a toujours beaucoup d’intérêt, selon moi, à voir un bon esprit, un esprit judicieux, aborder un sujet qu’on croit connaître à fond, et qui est nouveau pour lui. Sur ce sujet qui nous semble de notre ressort et, de notre métier, et sur lequel, à force d’y avoir repassé, il nous est impossible désormais de retrouver notre première impression,