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forme primitive : Moïse, Dolorida, Eloa, resteront de nobles fragmens de l’art moderne, de blanches colonnes d’un temple qui n’a pas été bâti, et que, dans son incomplet même, nous saluerons toujours.

Mais, quels que soient les regrets, pourquoi demeurer immobile ? Pourquoi sans cesse revenir tourner dans le même cercle, y confiner sa pensée avec complaisance, et se reprendre, après plus de quinze ans, à des programmes épuisés ? M. Molé, parlant au nom de l’Académie, a donné un bel exemple : « Le moment n’est-il pas venu, s’est-il écrié en finissant, de mettre un terme à ces disputes ? A quoi serviraient-elles désormais ?… Je voudrais, je l’avouerai, voir adopter le programme du classique, moins les entraves ; du romantique, moins le factice, l’affectation et l’enflure. » Voilà le mot du bon sens. Le jour où le directeur de l’Académie, homme classique lui-même, proclame une telle solution, n’en faut-il pas conclure que le procès est vidé et que la cause est entendue ? Dans toute cette fin de son discours, M. Molé s’est livré à des réflexions pleines de justesse et d’application : ce n’était plus un simple et noble amateur des lettres qui excelle à y toucher en passant, il en parlait avec autorité, avec conscience et plénitude. On avait plaisir, en l’écoutant, à retrouver le vieil ami de Chateaubriand et de Fontanes, celui à qui M. Joubert adressait ces lettres si fructueuses et si intimes, un esprit poli et sensé qui dans sa tendre jeunesse parut grave avant d’entrer aux affaires, et qui toujours se retrouve gracieux et délicat en en sortant.


SAINTE-BEUVE.