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lons parler de l’union de la gauche et du centre gauche. D’abord, cette alliance n’est pas nouvelle ; elle est, depuis quatre ans, le point de ralliement de toutes les forces de l’opposition ; puis elle n’a rien d’inquiétant pour la stabilité de l’avenir. Qui a perdu la restauration, si ce n’est la conviction où était le successeur de Louis XVIII qu’après un ministère royaliste, composé de ses plus dévoués serviteurs, il n’y avait plus d’administration possible, d’administration capable de gouverner et de sauver la monarchie ? En vain M. de Martignac épuisait, au service de la couronne, son énergie et son talent ; il se sentait suspect, et il en était désespéré. Que de fois ses intimes amis l’ont surpris ému jusqu’aux larmes des marques de défiance que ne lui épargnait pas une cour insensée ! Heureusement, aujourd’hui, la situation est autre. Si conservateur que l’on soit, on ne saurait nier que le gouvernement de 1830 a l’avantage de compter dans les rangs de l’opposition constitutionnelle des hommes aussi dévoués à sa cause, à sa perpétuité, que les membres de la majorité actuelle. Nous calomnierions le cabinet et ses amis, si nous ne pensions qu’ils sont les premiers à s’en féliciter.

Cette différence d’avec la restauration n’échappe pas aux partis extrêmes ; aussi attaquent-ils les représentans, les chefs du centre gauche et de la gauche avec la même violence que si ceux-ci étaient au pouvoir. Souvent même M. Thiers est plus assailli que M. Guizot. On ne pardonne pas non plus à M. Odilon Barrot et à ses amis de ne pas suivre avec une obéissance aveugle la consigne réformiste donnée par quelques journaux. M. Ledru-Rollin a eu l’insigne imprudence de se faire à la tribune l’organe de ces colères : il n’a pas compris qu’en exhumant du fond de quelques feuilles obscures de pareilles déclamations, pour les traduire au grand jour de la tribune, il en montrait lui-même toute la pauvreté, tout le néant. Sans le vouloir probablement, M. Ledru-Rollin avait l’air d’un auxiliaire du cabinet. Il semblait préoccupé du besoin, non pas d’attaquer le ministère actuel, mais un ministère futur ; c’est ce qu’a spirituellement relevé M. Duvergier de Hauranne, qui n’a pas voulu, pour son compte, coopérer à cette diversion singulière.

Il est remarquable, et ce n’est pas un des moindres gages de sécurité pour l’avenir, qu’au moment où l’on parle tant de l’union du centre gauche et de la gauche, le centre gauche a su garder toute la modération de ses opinions, sans permettre à une alliance qu’il a crue nécessaire de les altérer. Si M. Duvergier de Hauranne ne pense pas qu’à l’extérieur notre politique soit assez hardie, il n’est pas pour cela devenu partisan d’une politique de guerre, il a les mêmes opinions qu’au temps de Casimir Périer ; seulement il préfère les souvenirs d’Anvers et d’Ancône à ceux de Taïti et du Maroc. Jamais M. Thiers n’a parlé plus en homme de gouvernement, soit qu’il ait traité des questions étrangères, soit qu’il ait approfondi un des points les plus importans de la politique intérieure, c’est-à-dire la constitution de l’université. Dans cette dernière question, il a protesté hautement, il a fait plus, il a prouvé qu’il mettait à ses pieds toute préoccupation de parti, pour ne songer qu’à l’intérêt général.