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tante de la part de la chambre. Quoi que la majorité puisse penser au fond du cœur des actes qu’on l’a contrainte de couvrir de son nom, depuis l’indemnité Pritchard jusqu’au traité de Tanger, cette majorité les a acceptés et ne peut guère permettre qu’on les remette en question devant elle. Le parti conservateur a trop souffert l’année dernière des sacrifices qui lui ont été imposés sur ces matières, pour qu’il soit possible de rouvrir des débats qui pèsent à tout le monde et qui seraient sans résultat. L’opposition n’avait donc à prendre que des réserves pour l’avenir, elle avait surtout à se dessiner sur une affaire qui est assurément la plus importante du temps présent, puisque la question d’Orient sommeille, et à indiquer la politique qui lui serait commandée par les intérêts du pays dans le conflit élevé entre les deux plus grandes puissances maritimes.

M. Thiers s’est chargé de le faire, et jamais tâche n’a été accomplie d’une manière plus élevée. Quelques mois avant de rentrer au pouvoir, à la veille du 1er mars 1840, l’illustre orateur prononça un discours resté célèbre. Il se proposait de rendre son énergie première à l’alliance anglaise relâchée, sinon brisée, par le refus d’une intervention collective en Espagne, et plus tard par le peu d’accueil fait à Paris à la proposition d’une action énergique contre la Russie dans le Bosphore. Aujourd’hui, pour être fait sur un thème différent, le discours n’a pas une moindre portée. Il ne s’agit plus de renouer l’alliance anglaise : elle est devenue le premier article du symbole gouvernemental ; on la célèbre sur tous les tons, on se pâme en parlant de l’étroite intimité qui unit les deux couronnes. Il ne peut donc plus être question de prouver à la France l’avantage de bons rapports avec sa puissante voisine il n’est point un parti sérieux qui n’en soit convaincu. L’œuvre vraiment utile, vraiment politique, c’est d’opposer une digue à l’entraînement du cabinet, d’exposer jusqu’où doit s’étendre l’alliance anglaise, et quelles questions il importe de résoudre par soi-même dans l’entière liberté de son action et de son influence.

Au premier rang des questions réservées, M. Thiers a placé celles qui divisent l’Angleterre et les États-Unis, et il a établi que l’intérêt évident de la France était de décliner toute intervention dans un tel conflit. Ce n’est pas seulement une neutralité en cas de guerre qui convient au gouvernement français, c’est une neutralité diplomatique absolue, dont il ne saurait sortir qu’en suscitant au-delà de l’Atlantique des ombrages et un mécontentement dangereux. Professer, comme l’a fait M. le ministre des affaires étrangères, la doctrine de la neutralité pour le cas d’hostilités ouvertes, et celle d’une intervention, pendant la paix, au profit de l’une des parties, c’est ajouter l’inconvénient d’une contradiction au péril d’une politique dangereuse. Or, n’est-ce pas sortir de la neutralité que d’exercer sur le Texas une coercition morale ? N’est-ce pas sortir des limites de la prudence que d’aller chercher une défaite à laquelle il était si facile de se dérober ? N’est-ce pas compromettre sa réputation d’habileté que de se faire donner par l’évènement