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un si éclatant démenti, et de consigner dans un document authentique l’opinion que l’annexion est impopulaire au Texas, la veille même du jour où elle est proclamée à l’unanimité par la législature de ce pays ? Commencer la politique de neutralité, si solennellement proclamée, par un acte d’ingérence toute gratuite dans les affaires de l’Amérique du Nord, c’est une œuvre que toute l’habileté du ministre n’a pu parvenir à justifier. Son argumentation a consisté à établir qu’en s’opposant à l’annexion du Texas, la France ne s’était jamais préoccupée du côté anglais de ce débat, et n’avait songé à garantir que ses intérêts particuliers. Alors se sont produits les détails statistiques sur les ressources maritimes et commerciales du nouvel état, que M. Thiers n’a pas eu de peine à réfuter. L’importance qu’aurait pour la France l’existence indépendante du Texas est une thèse peu sérieuse. Il y a, d’ailleurs, un fait irréfragable et que nous nous étonnons de n’avoir pas entendu alléguer dans cette discussion : c’est que, lorsqu’en 1838 la France a reconnu l’indépendance de la jeune république, elle n’a agi ni dans un intérêt commercial, ni dans un intérêt politique, mais pour se venger du Mexique, contre lequel elle avait, à cette époque, des griefs connus du monde entier.

M. Thiers a salué en termes magnifiques la grandeur future des États-Unis ; il a montré cette grandeur produisant dans le monde l’affranchissement de notre politique. Puis, étendant son horizon et remontant aux grands principes qui, depuis 1789, font à la fois en Europe notre gloire et notre faiblesse, il a montré combien la proclamation de ces principes et les susceptibilités qu’ils froissent chaque jour au sein des grandes cours nous ont fait perdre de notre liberté d’action ; il a constaté l’unité, artificielle sans doute, mais puissante, qui lie le continent européen en présence de la France révolutionnée, sinon révolutionnaire. Cette sainte-alliance persistante, avec des modifications et sous des noms divers, a contraint la France, depuis 1830, à se rejeter vers l’Angleterre. L’alliance anglaise est devenue la première nécessité de notre politique. De là des difficultés sérieuses lorsque nos progrès maritimes ou commerciaux ont porté ombrage à notre alliée, de là des exigences auxquelles on s’est trouvé presque toujours dans la nécessité de céder. Deux grands faits, selon M. Thiers, amèneront bientôt dans le monde l’affranchissement de notre action, aujourd’hui contenue et parfois détournée de sa direction naturelle : l’un, c’est le progrès pacifique et régulier des idées françaises en Europe ; l’autre, c’est l’extension de la puissance américaine. La grandeur des États-Unis ne fera pas sans doute abandonner à la France une alliance indispensable à la paix du monde, mais elle lui permettra de se mouvoir, au sein de cette alliance, avec une liberté qui lui est aujourd’hui refusée. Devant une telle perspective, susciter dans l’Union américaine des irritations contre nous et prendre parti pour l’Angleterre dans un conflit diplomatique d’où l’on déclare qu’on s’empressera de se retirer, si le canon vient à gronder, c’est se montrer en même temps imprévoyant et timide. Le moyen le plus puissant qu’ait trouvé M. le ministre des affaires étrangères