Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les ridicules et toutes les faiblesses ; il connaît Pelham à merveille, et ne demande qu’à le voir aux prises avec la vie réelle. Les franches impressions de la comédie sont transportées dans le roman. Il y a, si nous ne nous trompons, un peu de ce charme et de cette vive manière dans le roman de Lermontoff. C’est encore une confession, et une confession de dandy, que ce livre ; mais nous ne sommes plus en face d’un rival de Brummel, d’un de ces types accomplis d’élégance et de fatuité qui ne se développent et ne triomphent à leur aise que dans la tiède atmosphère des salons. Le héros de Lermontoff mêle en lui un peu de l’impertinence de Pelham et de la fougue de don Juan. C’est un officier russe qui sait son Byron par cœur, et qui promène au milieu des loisirs élégans d’une ville de bains, au pied des monts neigeux du Caucase, je ne sais quelle exaltation superbe et fiévreuse, où se fait sentir l’inquiétude propre au génie slave. Nous ne voulons pas faire de comparaisons déplacées ni de rapprochemens ambitieux ; il y a dans ce récit, que la préface nous donne comme un extrait plutôt que comme une traduction fidèle, deux défauts auxquels on reconnaît toujours la jeunesse d’un écrivain : la tendance déclamatoire et les réminiscences. Néanmoins, tel qu’il est, avec ses imperfections même, ce petit roman mérite une attention sérieuse. Si, bien des fois, en lisant ce récit, on se souvient de Pelham et de Beppo, bien des fois aussi l’originalité du conteur russe se révèle avec puissance ; on est transporté dans un monde nouveau, et comme sous un autre ciel ; ce mélange d’élégance exquise et de grossièreté, de fadeur et de cynisme, de mollesse orientale et de farouche pétulance, ne saurait tromper le lecteur le plus distrait. Il n’y a qu’un instant, vous rêviez avec René, vous pleuriez avec Werther, tournez la page, et vous êtes en pleine Russie, entouré de moujiks hébétés et de soldats ivres, ou lancé sur une cavale furieuse dans la steppe infinie.

L’auteur de ce roman, Lermontoff, n’avait, pour écrire ce livre, qu’à puiser dans les souvenirs de sa vie. A peine sorti de l’université, il entrait comme sous-officier de hussards dans la garde impériale. Bientôt il passait lieutenant ; mais, sa nature inquiète et ardente lui ayant attiré une querelle dont les suites pouvaient être graves, un ordre impérial l’envoya au Caucase. Là encore la fatalité le poursuivit. Provoqué en duel par un officier dont il avait blessé au vif la vanité susceptible, Lermontoff tomba, mortellement frappé par la balle de son adversaire ; il avait trente ans. C’est en 1841 que la Russie perdait, si jeune encore et si plein d’avenir, ce brillant et malheureux émule de Pouchkin. Cette carrière si courte avait été bien remplie. Le poète et le romancier avaient pu se révéler par des écrits remarquables, parmi lesquels il faut placer au premier rang l’ouvrage qu’on vient de traduire en partie.

Ce roman, nous l’avons dit, est une confession. C’est Petchorin, officier russe, qui nous raconte une période curieuse et agitée de sa vie. Petchorin est la personnification de cet égoïsme insatiable et hautain qui semble une des maladies les plus communes de notre siècle. « Mon plus grand plaisir, dit-il,