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peut-être pas dans leur caractère. Les Dârforiens sont naturellement une race gaie, éprise de fêtes et de plaisirs, aimant le merveilleux et courant après la grosse joie. Chez eux, il n’y a presque pas un seul jour qui n’apporte avec lui ses divertissemens, ses danses passionnées, et les femmes prennent part à toutes les cérémonies civiles et religieuses ; elles en sont l’ame pour ainsi dire. Au milieu des plus graves solennités, elles se mêlent aux chanteurs pour improviser des strophes dans lesquelles se glissent des sentimens tout-à-fait profanes. Malgré cette liberté, il leur est défendu de manger en présence de leurs maris, et cette bizarrerie, le cheikh Mohammed ne se l’explique pas plus que nous. Quand il consulta des Dârforiennes sur la cause d’un si singulier usage, il n’obtint d’elles que cette réponse : — Manger devant son mari ! ouvrir la bouche et y mettre de la nourriture ! ah ! c’est le comble de la honte ! — Les femmes du Soudan voudraient-elles donc passer pour des êtres célestes et angéliques qui vivent sans manger ?

Pour nous qui ne sommes pas musulmans, les anecdotes de harem racontées par le cheikh perdent beaucoup de leur intérêt ; sur tout ce qui regarde les relations des sexes, le mariage, l’éducation des femmes et leurs ruses, il s’étend avec une certaine prolixité, et de telle façon qu’on n’ose plus en parler après lui. Il y a des choses que les médecins peuvent lire, mais qui demandent à être consignées dans des traités spéciaux : le voyageur tunisien n’a pas le sentiment de ces convenances. Dans tous les détails de la vie intime, les gens du Soudan diffèrent beaucoup des nations musulmanes ; voilà ce qui le frappe. Sa curiosité est éveillée, et il observe. De ses nombreuses remarques, on tire cette conclusion, que les mots de vertu et de morale n’ont pas de sens au Dârfour ; là, les passions violentes de la race noire ne connaissent presque aucun frein. C’est particulièrement cette dépravation, cette absence de retenue, qui maintiennent les habitans de l’intérieur de l’Afrique dans un état réel d’infériorité, qui les dégradent et ne leur permettent pas de sortir de l’enfance ignorante dans laquelle ils végètent. Des voyageurs en Abyssinie nous ont déjà fait de tristes révélations sur des peuples plus civilisés, qui conservent encore un lointain souvenir du christianisme ; au Soudan, quelle lumière a pénétré ? Le mahométisme, impuissant à changer les mœurs, s’y trouve mêlé à des superstitions, à des croyances bâtardes, sous lesquelles on reconnaît l’idolâtrie. On est effrayé, en lisant cette partie de l’ouvrage de Mohammed, de tout ce que la civilisation aurait à introduire de réformes dans ces régions oubliées.

Ce qui rendrait la tâche plus difficile encore, c’est que la race répandue