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lui-même l’idéalisme subjectif absolu. Elle a ce caractère singulier, qu’en poussant à ses plus extrêmes conséquences le scepticisme de Kant, elle prépare le dogmatisme de Schelling et de Hegel. Et il faut bien le remarquer, non-seulement elle le prépare, mais elle le commence et le contient. Fichte, en effet, aspire ouvertement à la science absolue. Il explique l’homme, la nature et Dieu. Il mène la philosophie allemande, si on peut ainsi dire, du subjectif à l’objectif par le subjectif même, du scepticisme au dogmatisme, d’une doctrine tellement timide, qu’elle ose à peine affirmer un être effectif, à cette philosophie ambitieuse qui embrasse dans ses cadres immenses l’histoire de l’humanité et celle de la nature, et prétend, sans mesure et sans réserve, à l’explication universelle des choses.


Schelling a commencé sa carrière philosophique par accepter le système de Fichte, comme Fichte avait d’abord adopté celui de Kant. Son premier écrit, composé à vingt ans, porte ce titre expressif : Du moi comme principe de la philosophie ; mais il ne tarda pas à s’apercevoir de l’impossibilité absolue de maintenir la philosophie dans cette étroite enceinte où elle étouffait. Sur les pas de Fichte, la philosophie avait perdu la nature ; il s’agissait de la reconquérir.

La nature existe en face du moi. Toute tentative de déduire la nature du moi, l’objet du sujet, est radicalement impuissante ; l’exemple de Fichte l’a prouvé. On ne réussirait pas mieux à déduire le sujet de l’objet, le moi de la nature, la pensée de l’être. Ainsi point d’être sans pensée, point de pensée sans être, et aucun moyen de résoudre la pensée dans l’être ou l’être dans la pensée. C’est dans ces termes que se posait devant Schelling le problème philosophique.

On s’explique très simplement la solution où il fut conduit. Suivant lui, la pensée et l’être, le sujet et l’objet, ne peuvent être à la fois irréductibles et inséparables, s’il n’y a pas un principe commun de l’un et de l’autre, principe à la fois subjectif et objectif, intelligent et intelligible, source unique de la pensée et de l’être. Ce principe, ce sujet-objet absolu, comme l’appelle Schelling, est l’idée-mère de sa philosophie. Remarquons que c’est à peu près de la même manière que Spinoza avait été conduit à l’unité de la substance. Son maître, Descartes, en effet, avait constaté au début de la science une dualité fondamentale. En face de l’être qui pense, il avait reconnu l’être étendu. Comment expliquer leur coexistence, bien plus, leur union ? Malebranche, préludant à l’idéalisme de Kant, avait nié qu’on pût connaître les corps ; Berkeley, devançant Fichte, avait essayé de