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Kopernic avait introduite dans l’astronomie. Le vulgaire croit que les astres tournent autour de la terre, ce qui ne peut s’accorder avec l’observation exacte des faits. Changez l’hypothèse, faites tourner la terre autour du soleil, toute contradiction disparaît, tout s’explique et s’éclaircit. De même on est accoutumé à subordonner la pensée à l’être, tandis qu’au vrai, suivant Kant, c’est l’être qui est subordonné à la pensée.

De cette conception à celle de Fichte, il n’y a qu’un pas. Si les choses ne sont que ce que les fait la pensée, c’est la pensée qui constitue, qui crée les choses. Le moi, en se pensant, en se posant, se crée ; en posant le non-moi, il le crée ; enfin, en posant Dieu, il le crée encore. Voilà l’identité absolue de la pensée et de l’être, explicitement professée par Fichte, et, comme on voit, rigoureusement déduite de l’idée fondamentale de Kant. Seulement il faut remarquer que cette identité absolue est dominée par le caractère propre du système de Fichte ; je veux dire qu’elle est purement psychologique et subjective ; l’être, pour Fichte, comme la pensée, c’est toujours le moi ou un développement du moi. Fichte ne pouvait donner à l’identité de la pensée et de l’être un autre sens qu’à condition de sortir de son système. Schelling, nous l’avons vu, reprit, mais en le transformant radicalement, le système de Fichte. A ses yeux, le moi et le non-moi ont une égale réalité, la nature et l’humanité subsistent en face l’une de l’autre ; elles trouvent leur union dans un principe à la fois idéal et réel, subjectif et objectif, qui les constitue, les pénètre et les contient.

Cette identité de la pensée et de l’être, du sujet et de l’objet, conçue comme réelle et objective, est le principe commun de la philosophie de Schelling et de celle de Hegel, et on voit qu’elles se rattachent étroitement l’une et l’autre aux doctrines antérieures. Voici maintenant la différence des deux systèmes. Schelling n’identifie la pensée et l’être que dans leur principe premier, savoir Dieu ; mais au-dessous de Dieu, la pensée et l’être, sans jamais se séparer, se distinguent. Il y a plus d’être dans la nature, il y a plus de pensée dans l’homme. S’il en est ainsi, l’être et la pensée sont deux choses différentes, et le principe de l’identité est en défaut. A la rigueur, en effet, si l’être et la pensée sont une seule et même essence, non-seulement la pensée doit se trouver partout où est l’être, mais elle doit s’y rencontrer dans la même proportion. Pourquoi cet équilibre est-il rompu ? comment est-il possible qu’il vienne à se rompre ? pourquoi Dieu est-il plus dans l’humanité que dans la nature ? Question téméraire sans doute, mais à laquelle est