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allemande un plus illustre défenseur ni un plus habile interprète. Schelling a autant d’esprit que de génie, et dans ses écrits, notamment dans celui que nous signalons, il sait unir la grace à la grandeur. Mais quel est le fond de cette brillante apologie ? Le voici en peu de mots.

Ce que Schelling, ce que les métaphysiciens de l’Allemagne ne peuvent comprendre, c’est que la philosophie soit une science, une science digne de ce nom, et qu’en même temps elle doive tenir compte de deux choses : d’une part, de la nature de l’esprit humain, de ses conditions, de ses limites, de ses lois ; de l’autre, des données de l’expérience. Une philosophie appuyée sur l’étude de la nature humaine leur paraît empreinte d’un caractère tout relatif et tout subjectif. « La science, nous dit Schelling, doit être homogène ; si vous mêlez l’expérience et la raison, votre philosophie n’est plus d’une seule pièce. L’expérience, d’ailleurs, n’est pas un procédé à l’usage de la métaphysique ; elle constate des existences, elle ne les explique pas. Elle donne le que et non le comment. Cet empirisme timide n’a rien à nous dire sur la nature des choses, sur celle du premier principe ; il se borne à quelques attributs tout négatifs, à quelques déterminations abstraites et vides. C’est une science sans contenu ; ce n’est point une philosophie réelle. »

Nous répondrons en substance à Schelling et à l’Allemagne : La philosophie telle que vous la concevez, dans son homogénéité et son universalité absolues, est, par sa définition même, un idéal, ou, pour mieux parler, une chimère entièrement inaccessible, sans aucune proportion avec l’esprit humain et avec toute la constitution de notre nature. Cette philosophie, nous vous défions non-seulement de la construire, mais même de la commencer. Quant aux objections que vous adressez à la nôtre, elles ne tombent pas sur nous, mais sur l’esprit humain. C’est à la nature des choses que vous faites le procès. Contre vous, au surplus, nous ne voulons d’autres défenseurs que vous-mêmes. Le crime capital que vous nous reprochez, celui de consulter l’expérience, vous le commettez comme nous, ajoutant ainsi aux inconvéniens de l’illusion ceux de l’inconséquence, et compliquant votre situation de telle sorte que, si l’expérience a des dangers, vous les subissez, et, si elle a des avantages, vous ne les recueillez pas.

Oui, j’ose le dire au nom de l’histoire, concevoir la philosophie comme indépendante des limites de l’esprit humain et des conditions de l’expérience, c’est placer l’homme entre le scepticisme absolu et une exaltation voisine de la folie. Fausse alternative, également répudiée par la conscience de l’humanité, par les lois d’une exacte logique