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que Schelling relève avec la plus perçante ironie : « L’idée, dit-il, l’idée de Hegel, on ne sait trop pourquoi, ennuyée peut-être de son existence purement logique, s’avise de se décomposer dans ses momens, afin d’expliquer la création. »

On ne saurait mieux dire, et voilà une admirable revanche de Schelling contre l’infidèle et orgueilleux disciple ; mais que pensera tout ami désintéressé de la vérité en écoutant ces deux illustres adversaires, si habiles dans l’attaque, si faibles dans la défense ? Non, sans doute, Hegel, pas plus que Schelling, n’a pu faire le premier pas en philosophie sans laisser des mystères dans la science et sans faire des emprunts à l’observation : double preuve, preuve irréfragable de la vanité de la science absolue et de la méthode rationnelle.

Après avoir tant attaqué l’empirisme, Schelling, dans ce même écrit que nous combattons, finit par convenir qu’on ne peut se passer de l’expérience en métaphysique. L’aveu est loyal, mais bien tardif, et après tout c’est une contradiction. Si nous en croyons les bruits encore un peu vagues qui viennent de l’Allemagne, la nouvelle philosophie de Schelling a pour caractère de s’appuyer sur la tradition et l’expérience[1]. On ne peut qu’applaudir à ce dessein et admirer la vivace fécondité de ce génie que ni l’age ni la contradiction n’ont pu épuiser ; mais, quand Schelling aura terminé sa seconde philosophie, ne craint-il pas qu’on lui en demande une troisième pour mettre les deux autres d’accord ? D’un côté, une doctrine toute rationnelle ; de l’autre, un système tout fondé sur l’expérience et la tradition, est-ce là cette philosophie d’une seule pièce qu’on nous reproche de ne pas avoir ? est-ce là cette homogénéité, cette unité tant célébrées ?

Il est vrai que Schelling prétend faire de l’expérience en grand. Notre psychologie lui paraît, comme eût dit Spinoza, historiola animoe. En général, on méprise beaucoup la psychologie au-delà du Rhin, et on croirait, à entendre nos dédaigneux voisins, qu’il ne sied qu’à un étroit génie de s’y appliquer. Pour nous, nous ne voyons pas ce qui empêcherait qu’en psychologie on ne fît de l’expérience tout-à-fait en grand, à la manière de Socrate et de Kant, lesquels, sans sortir de la conscience, ont su y descendre à une certaine profondeur. Nous préférons hautement les Méditations de Descartes, qui vivront toujours,

  1. Voyez l’esquisse que donne M. Matter du nouveau système de Schelling dans l’ouvrage intitulé : Schelling, ou la Philosophie de la nature et la Philosophie de la révélation. Paris, 1845.