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avant tout protestans, que le calvinisme l’emporte chez eux sur la nationalité, et que ces puritains ont poursuivi jusqu’à la mort la catholique Marie, sa grand’mère. Il ne lui reste pas un seul homme de troupes, mais seulement le titre de roi, et le fantôme d’un pouvoir encore respecté. Qu’il ait voulu finasser et temporiser en de si tristes circonstances, cela est naturel ; on a paru croire qu’il lui était facile de diriger sa barque entre le calvinisme écossais et la démocratie biblique de Cromwell, surtout contre le vaste mouvement septentrional du protestantisme armé. Ce n’était pas à lui qu’on en voulait, mais à la chevalerie et au papisme ; le 11 février 1647, Fairfax lui-même, rencontrant, sur la route de Holmhy, le roi, que les Écossais venaient de livrer, « descendit de cheval[1], dit Whitlocke, baisa la main royale, remonta ensuite, et fit route avec lui en causant très respectueusement. »

Charles Ier, qui lisait l'Astrée avec tant de bonheur dans sa jeunesse, et qui pendant sa vie en a toujours pratiqué les maximes romanesques, une fois livré par les puritains écossais, peu sensibles à sa chevaleresque démarche, ne fait plus que languir et se traîner de prison en prison, et de douleur en douleur, jusqu’à l’échafaud qui l’attend. La cause de Cromwell et du protestantisme triomphe, non sans apporter ses embarras et ses misères. Quel protestantisme dominera ? Celui qui détruit une portion du christianisme, ou celui qui le détruit tout entier ? Celui qui impose un certain dogme général et fait de la communauté religieuse « une plate-forme, » selon la phrase du temps, ou bien celui qui, plus fidèle à son principe d’examen, en fait un domaine accidenté, établissant radicalement la liberté de l’homme, et permettant à sa pensée d’être luthérienne, brownienne, schismatique, érastienne, même socinienne ? Que faire ? Comment arrêter ou servir ce développement naturel du principe calviniste ? L’ame de Cromwell est triste et retombe dans ses ténèbres mélancoliques. Les communes, préférant l’ordre à la liberté, penchent vers le protestantisme uniforme, le presbytéranisme. L’armée, qui a vécu d’une vie indépendante et biblique, réclame la liberté indéfinie de l’examen religieux ; entre l’armée et les communes, la guerre éclate. « Jamais, écrit Cromwell à Fairfax, les cœurs des hommes ne furent remplis de plus d’amertume ; mais, certes, le démon n’a qu’un temps : monsieur, il est bon que l’ame s’affermisse contre ces choses. La nue simplicité du Christ en viendra à bout au moyen de la raison et de la patience qu’il lui

  1. Whitlocke, p. 242.