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toujours le même mysticisme sombre et profond, la même conviction que Dieu est là, omniprésent et omniscient, guidant le bras, dirigeant le glaive, vengeur éternel. « O cher Robin, dit Cromwell, vous avez vos doutes, et moi aussi. Dieu, dites-vous, a créé les puissances pour qu’on leur obéisse. Oui, Robin ; mais je suis loin de penser que les puissances ont le plein droit de tout faire (anything) et d’exiger l’obéissance. Tout le monde avoue qu’il y a des circonstances où la résistance est légale. Si cela est, votre argument tombe et les conséquences aussi. En réalité, cher Robin, pour ne pas multiplier les mots, la vraie question est de savoir si notre situation est celle d’une résistance légale… Seulement cherche dans ton cœur une réponse à ces deux ou trois questions : 1° Le salut du peuple est-il la loi suprême ? – 2° Tout le fruit de la guerre n’est-il pas sur le point d’être perdu ? — 3° Enfin, cette armée n’est-elle pas un pouvoir réel appelé par Dieu pour sauver le peuple et combattre le roi, de manière à obtenir ces fruits ?… Robin, prends garde aux hommes et regarde Dieu ! ne redoute pas les difficultés, mais mesure-les et agis ensuite… Je t’ai écrit tout cela parce que mon cœur t’aime et que je ne voudrais pas te voir t’écarter de la route droite. Adieu, Robin. »

Cette lettre si grave et si raisonnée, où Cromwell apparaît si redoutable dans sa conviction, précède de peu l’enlèvement du roi que de grossiers soldats, mèche allumée, fumant et chantant des psaumes, amènent à Londres. Immédiatement après cette exécution, le 6 novembre 1648, les quarante-un membres des communes qui pourraient s’opposer aux desseins de l’extrême puritanisme sont à leur tour enlevés au moment même où ils entrent à la chambre, et conduits d’abord dans une mauvaise taverne, « à l’enseigne de l’enfer, » puis à la Tour, et quelques-uns chez eux. « De quel droit ? demande un petit homme habillé de noir, portant, dit Whitlocke, une canne très mince, et qui a la voix très âpre et très aiguë. D’après quelle loi ? — Par la loi de la nécessité, lui répond l’ami de Cromwell Hugues Peters, et le pouvoir de l’épée ! » Ce questionneur furieux, qui resta plusieurs années à la Tour, se nommait Clément Walker et siégeait aux communes. Presbytérien, homme d’esprit, d’une indomptable opiniâtreté, c’est lui qui, dans sa prison, a écrit contre Cromwell cette Histoire de l’Indépendance, consultée par tous les historiens, pamphlet très mordant et très habile, mais qu’il faut se garder de prendre pour de l’histoire.

Tout est donc prêt pour l’échafaud, et l’on ne peut nier que Cromwell et Bradshaw avaient non-seulement prévu, mais résolu et tramé cette mort avec une froideur de coup d’œil que le fanatisme puritain