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explique, que nous ne pouvons sans regret et sans peine observer chez Thomas Carlyle, écrivain du XIXe siècle, et très en dehors des passions qui menaient le monde septentrional en 1648. Charles Ier tombe victime. Au moment même où le roi vient de mourir et où Cromwell et l’armée triomphent, un parti qui n’est pas sans analogie avec celui de Babeuf lève la tête. Cromwell l’écrase ; il a son vendémiaire, son 18 brumaire et son 18 fructidor. Il agit plus bourgeoisement, plus pieusement que Bonaparte ; comme lui, il se débarrasse de ceux qui le gênent.

Sans doute, Cromwell est alors bien près du souverain pouvoir, ou plutôt la réalité de la puissance est dans sa main ; mais l’Irlande est là, toute catholique, qui réclame la présence du maître. Il part, après avoir, d’accord avec Bradshaw, Ludlow et les principaux puritains, déclaré que l’Angleterre est une république. L’acte est laconique ; il a six lignes. Notre fermier a bien changé son équipage et ses allures depuis le temps où il faisait paître ses bœufs sur les bords de l’Ouse. « Sa voiture est attelée de six belles jumens grises truitées ; plusieurs voitures le suivent, et beaucoup de grands officiers s’y trouvent. Quatre-vingts hommes d’élite, la plupart colonels, lui servent d’escorte. Je ne crois pas que jamais roi ait eu de tels gardes-du-corps. » Ainsi parle le journaliste du temps, et l’on voit que, long-temps avantd’ètre nommé protecteur, Cromwell s’était fait roi.

La pauvre Irlande catholique ne tarde guère à être écrasée, et cela sans pitié, sans remords, par le représentant du calvinisme. Non-seulement l’Angleterre, mais le protestantisme tout entier voit avec enthousiasme cet homme qui satisfait ses plus chers désirs, et porte des coups si mortels à l’autorité de Rome. Le trône s’élève en perspective devant le fermier de Saint-Yves, et il s’en doute fort bien, car il s’inquiète des études politiques de son héritier Richard, qui a épousé une miss Mayor, et dont le tempérament rêveur ne plaît guère à Cromwell. Le petit fragment de la lettre suivante adressée au beau-père de Richard, chez lequel ce dernier demeurait, est aussi curieux qu’instructif : « Je vous ai confié Richard ; je vous en prie, donnez-lui de bons conseil. Je ne porte pas envie à ses plaisirs, mais je crains qu’il ne se laisse absorber par eux. Je voudrais qu’il pensât aux affaires, et qu’il s’habituât à les comprendre ; qu’il lût un peu d’histoire, étudiât les mathématiques et la cosmographie. Ces choses sont bonnes, subordonnées aux choses divines. Elles valent mieux que l’oisiveté, ou les plaisirs apparens du monde. Ces choses rendent propres à servir le peuple, et c’est pour cela que l’homme est né. » On peut méditer cette