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questions adressées à nos hommes nous apprirent que c’étaient autant d’ouvrages de défense élevés contre les pirates barbaresques, qui, stimulés par le voisinage, peut-être aussi par les souvenirs de leur domination passée, ne cessaient de tenter de véritables razzias sur cette terre de Sicile, qu’arracha au joug de leurs ancêtres l’épée des fils de Tancrède. Le nombre de ces tours est de près de deux cents, et dix mille hommes de garnison veillaient sans cesse sur leurs créneaux, prêts à sonner la cloche d’alarme à la vue de la moindre felouque, du moindre brigantin suspect. Depuis la conquête d’Alger, toutes ces précautions sont devenues inutiles. Les soldats sont rentrés dans les villes, et les tours abandonnées sur ces rives désertes ne servent plus qu’à témoigner de la grandeur du service rendu par la France à la cause de l’humanité et de la civilisation.

Cependant nous approchions du cap de Santo-Vito. Là, au dire de nos hommes, nous devions trouver dans le santuario un logement des plus comfortables et une abondance de vivres que, depuis notre départ de Palerme, nous ne connaissions plus que de souvenir. Il nous tardait d’autant plus d’atteindre cette terre promise, qu’une pluie froide, poussée par un vent impétueux, commençait à glacer nos membres, mal garantis par notre légère tente. Nous arrivâmes enfin, et du premier coup d’œil nous reconnûmes que l’architecte qui éleva ce monument tout auprès du rivage avait songé bien plus à la sûreté de ses habitans qu’à l’élégance de l’architecture. L’église de Santo-Vito a tout l’aspect d’un château fort du moyen-âge. Une haute et grosse tour carrée, percée d’étroites meurtrières, lui sert de clocher et, pour s’emparer de cet inaccessible donjon dont les murs, d’une épaisseur énorme, semblent défier l’artillerie elle-même, il faudrait presque un siège en règle, quelque faible que fût la garnison. Au pied de la tour se groupent quelques maisons presque toutes de fraîche date, et dont le nombre s’accroît rapidement depuis qu’on n’a plus à craindre les pirates algériens. Les reliques de Santo-Vito ont une grande réputation sur toute la côte : chaque année, un grand nombre de pèlerins viennent demander à leurs vertus miraculeuses la guérison de ’l’ame et du corps, et leurs offrandes assurent au sanctuaire qui les possède un revenu considérable.

Le desservant de cette riche cure a le titre de chanoine et habite un presbytère bâti au sommet du clocher. Des logemens assez spacieux, destinés à donner l’hospitalité aux pèlerins, occupent le reste de la plate-forme, et c’était là que nous comptions nous installer ; mais le maître du lieu ne parut nullement disposé à partager avec nous son