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exactement de la même manière chez les mâles. Eux aussi produisent des bourgeons qui s’organisent en animaux parfaits ; mais ici les individus de formation nouvelle renferment, au lieu d’œufs, cette liqueur mystérieuse dont le contact, comme celui du flambeau de Prométhée, suffit pour éveiller la vie. Comme leurs sœurs ou leurs frères femelles, ils ne vivent que peu de jours, et périssent en remplissant la tâche que leur assigna la nature. C’est là, je le crois, le premier exemple connu d’animaux à vie indépendante créés uniquement pour servir de machines à reproduction.

Ces faits, d’abord accueillis avec incrédulité par les naturalistes qui ne voient la nature vivante qu’au travers de leurs collections, purent être vérifiés bien des fois par mes deux compagnons, et plus tard M. Edwards a montré qu’ils n’étaient pas isolés. Dans le courant du voyage, il trouva une autre espèce d’annélide marine, proche parente des myrianes, qui se divisait non plus en deux, mais en sept segmens, tous ayant leur tête distincte, tous réunis en chapelet par la peau et le canal alimentaire. Or, ici comme chez les syllis, l’individu primitif, qui certes méritait bien le titre d'individu souche, ne contenait pas un seul neuf, tandis que les six autres auxquels il avait donné naissance en étaient comme gorgés.

Une particularité bien digne de remarque, c’est que les jeunes syllis formées ainsi de toute pièce ne ressemblent pas aux anciennes. Avant même d’être séparées de l’individu souche, elles diffèrent assez de ce dernier par leurs caractères extérieurs pour que les zoologistes, qui veulent juger de tout par les dehors seulement, se voient obligés, en vertu de leurs principes, de former deux espèces distinctes, peut-être même deux genres, avec ces animaux dont l’un n’est qu’une portion de l’autre. Que dire de principes qui entraînent de pareilles conséquences, sinon qu’ils doivent inévitablement conduire à des erreurs qui, pour ne pas être toujours aussi évidentes, n’en sont pas moins bien réelles ? Mais que dire surtout des hommes qui, en présence de ces faits, en présence de mille autres tout aussi significatifs enregistrés par la science moderne, soutiennent encore que la vraie, la bonne zoologie repose uniquement sur ces principes ?

En réfléchissant au singulier mode de propagation présenté par les syllis et les myrianes, on est conduit à se poser une question qui, au premier abord, peut paraître assez étrange. Les individus primitifs ont-ils un sexe ? Évidemment non ; ils ne sont ni mâles ni femelles, car aucun d’eux ne joue en réalité le rôle de père ou celui de mère ; ils ne sont jamais ni fécondans ni fécondés. Agissant tous de la même manière,