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Russell d’occuper cette position, c’en était fait du gouvernement, qui laissait usurper ainsi son rôle d’arbitre. Perdre la majorité dans la chambre des communes et retomber peut-être dans la situation d’une minorité factieuse, voilà le sort qui était réservé au parti conservateur, dans le cas où le programme de 1842 serait resté le programme de 1846. Sir Robert Peel n’avait pas tiré miraculeusement l’aristocratie de dessous les décombres de la réforme, en 1834, pour la laisser périr douze ans plus tard, en défendant sans espoir la brèche ouverte dans la législation sur les céréales. Aux dépens de sa réputation et de son repos, il a préféré faire violence, pour le sauver, au grand parti qui lui avait confié ses destinées.

« J’ai toujours prévu, disait M. Cobden dans une assemblée publique, à la fin de décembre, que nous aurions à culbuter, avant de réussir, un ou deux gouvernemens[1]. » La prophétie s’est accomplie à la lettre. En effet, non-seulement la ligue a renversé le ministère de sir Robert Peel tout le temps qui a été nécessaire pour humilier la résistance du duc de Wellington, mais elle a réduit encore les whigs à la dure nécessité d’étaler les infirmités qui leur rendaient l’exercice du pouvoir impossible. La ligue a obligé le ministère tory à faire en quelque sorte peau neuve ; elle a fait avorter dans son germe la tentative de ranimer l’ancienne combinaison whig. Le terrain du gouvernement est donc maintenant déblayé et peut recevoir la semence nouvelle.

Dans l’intervalle qui s’est écoulé entre la reconstitution du ministère et la présentation au parlement du projet de réforme commerciale élaboré par sir Robert Peel, les deux partis extrêmes, qui sont les véritables personnages de ce drame, ont cherché à se fortifier et à faire des recrues. Les résultats obtenus sont-ils les mêmes pour l’un comme pour l’autre, et sont-ils également préparés à la bataille décisive qui va s’engager ?

La ligue a montré une rare habileté dans cette crise. La vapeur des révolutions lui avait d’abord monté à la tête : en présence des cabinets faits ou à faire qui s’écroulaient l’un sur l’autre, elle imaginait déjà qu’aucune puissance ne tiendrait devant elle, et quelques paroles de haine ou de subversion s’étaient mêlées à ses cris de victoire ; mais la réflexion n’a pas tardé à modérer cet emportement, qu’expliquait d’ailleurs ce qu’il y avait d’inattendu dans le succès. Pour ne gêner aucune

  1. « I have always expected that we sbould knock one or two governements on the head, before we succeded. » (Speech at Covent-Gardon).