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ne l’espèrent point eux-mêmes, car le ton de leur harangue est uniformément celui du désespoir, et je ne sais plus lequel de ces malencontreux orateurs n’a pas fait difficulté d’annoncer à son auditoire que le projet du ministère recevrait la sanction du parlement.

Aux doléances des squires et aux déclamations des ducs, il n’y a qu’à opposer le récit des réunions dans lesquelles les laboureurs n’empruntent pas, pour expliquer leur situation, la voix de leurs maîtres. Vers la même époque où la société centrale d’agriculture, présidée par le duc de Richmond, s’insurgeait contre sir Robert Peel et contre la ligue, un million de laboureurs s’assemblaient à Goatacre dans le comté de Wilts pour délibérer sur leur commune détresse. Ce meeting avait lieu, par une soirée d’hiver, dans un carrefour formé par plusieurs routes. La pauvreté de ces bonnes gens ne leur avait pas permis d’élever une tribune pour le président et pour les orateurs, ni d’offrir un abri à l’auditoire. Une planche, supportée par quatre pieux et adossée à une haie, servait de plate-forme, et cinq ou six lanternes éclairaient de leur lumière douteuse des groupes composés de femmes et d’enfans en haillons. Un laboureur avancé en âge, étant appelé à présider, dit ces simples paroles


« Vous savez, compagnons, par votre propre expérience, que nous sommes dans la détresse et dans la pauvreté. Vous êtes réunis ici ce soir pour faire connaître cette détresse à sa majesté et à ses ministres, pour les prier d’ouvrir les ports et de rapporter les lois sur les grains, qui sont injustes, afin que nous puissions, nous et nos familles, jouir des bienfaits de la Providence. En ce qui touche mes propres souffrances, je n’ai que six shillings (7 fr. 55 c.) par semaine pour vivre et pour faire vivre ma femme avec deux petits enfans. Je ne puis pas gagner assez pour notre subsistance. Il faut trouver 6 liv. st. 10 sh. (168 fr.) par an, pour payer le loyer de la maison que j’occupe et du jardin, et la récolte de pommes de terre a manqué. Je dis donc : Unissons-nous tous ensemble, et demandons la liberté du commerce. (Applaudissemens.) La liberté du commerce pour toujours ! (Nouveaux applaudissemens.) Pourquoi avons-nous été jetés dans ce monde ? n’est-ce pas pour le bien de la société ?… Dieu nous a donné l’intelligence, la volonté et des facultés, qu’il fait servir d’instrument à ses desseins. Dieu jeta les yeux sur son peuple en Égypte, et, voyant l’affliction dans laquelle il était plongé, suscita Moïse pour le délivrer. Plus tard il suscita Gédéon pour tirer ce peuple des mains des Madianites, et Cyrus pour faire cesser la captivité de Babylone. Dans une époque plus voisine de la nôtre, Dieu appela Olivier Cromwell et plusieurs autres pour faire ce qui devait être fait. Aujourd’hui,