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pleuvent des deux côtés, chargées d’innombrables signatures[1]. Le parti agricole a eu le temps de recueillir son sang-froid et de se composer un maintien, il n’éclate plus en invectives. Il garde plus de ménagemens envers le ministre, mais il ne fait pas grace au projet. Les délais attachés à l’exécution de cette sentence ne désarment en aucune façon les adversaires du bill : les défenseurs de la protection n’y voient pour leur système qu’une agonie plus lente, et la mort est toujours au bout. La réforme politique leur semble un lit de roses auprès de la réforme commerciale ; sir Robert Peel est un révolutionnaire auprès de lord Grey. C’est pourquoi M. Sidney Herbert, interpellant cette émeute de grands seigneurs, leur a demandé s’ils entendaient que les lois sur les grains fussent une institution nationale.

La tactique du parti se dessine, au reste, très nettement dans l’amendement qu’a présenté M. Miles. Autant le ministère apporte d’empressement à faire décider le sort de la mesure, autant les grands propriétaires se croient intéressés à traîner la discussion en longueur. La chambre des communes ayant été nommée en majorité avec mandat tacite ou exprès de défendre les lois sur les céréales, ils prétendent que les électeurs soient consultés, et que l’on sache si la métamorphose qui vient de s’opérer dans les convictions du premier ministre s’est étendue à l’opinion du pays. Voilà ce que veut M. Miles, quand il demande l’ajournement de la discussion à six mois, formule qui, dans les usages du parlement britannique, équivaut à un rejet absolu.

La situation des whigs et des ligueurs est beaucoup plus difficile. Ils n’approuvent pas toutes les dispositions du projet, et ils ne pourraient cependant pas voter contre le bill sans compromettre l’avenir même de la cause, qui leur doit d’être en ce moment à la veille du succès. Dans une réunion qui s’est tenue chez lord John Russell, et à laquelle assistaient les membres principaux de l’opposition libérale, les conseils de la prudence ont prévalu. Il a été décidé que l’on ne tenterait pas une diversion qui ne profiterait qu’à l’ennemi commun. Lord John Russell en a fait lui-même à la chambre la déclaration formelle : « Je désire que la mesure du très honorable baronnet réussisse dans cette chambre et dans l’autre, et aucun vote ne sera émis par moi qui puisse la mettre en péril. Si donc, lorsque nous entrerons en comité, le très honorable baronnet vient nous dire que, tout bien considéré,

  1. La seule pétition du comté de Lancastre contre la loi sur les céréales porte 314,500 signatures.