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venger une injure sans gravité. Néanmoins il n’était pas à croire que l’on dût être plus heureux en portant le combat sur ce point plutôt que sur les autres ; mais une petite coterie, dont M. Darblay est l’orateur et M. d’Angeville l’enfant perdu, avait arrêté, dit-on, depuis long-temps dans ses conseils, de faire payer au cabinet l’appui qu’elle consent à lui prêter, et c’était aux dépens de M. l’amiral de Mackau qu’on avait résolu de faire ses preuves d’indépendance. Le secret avait été bien gardé, et ce n’est qu’en voyant M. Jacques Lefebvre donner des marques de sympathie, et menacer d’un nouvel amendement de sa façon, que le ministère a compris toute l’étendue du péril. Le cabinet se trouve vis-à-vis de la coterie dont il s’agit dans la situation du brave qui ne manque jamais de s’écrier d’une voix tonnante : Si tu avances, je recule. Il a donc reculé avec une prudence que n’aurait pas sir Robert Peel, mais qui réussit fort bien à M. le ministre des affaires étrangères depuis six ans, et il est venu déclarer avec solennité que l’expédition ne partirait point avant que M. d’Angeville ait consenti à signer ses passeports. On dit que cette abnégation a désarmé l’honorable membre, et qu’il permettra à la flotte de mettre à la voile le mois prochain. Nous verrons.

On assure que la démission de M. le ministre de la marine a été donnée et reprise sur de très vives insistances. Ce n’est pas sans peine non plus qu’on a réussi à retenir dans le cabinet M. Martin (du Nord), encore tout agité de la discussion sur le conseil d’état, et qui voit lui échapper la succession, si long-temps convoitée, de M. le président Zangiacomi. La couronne paraît mettre le plus grand prix à ne rien changer dans le personnel de son gouvernement, non plus que dans l’ensemble de sa politique. Elle croit que cette longue durée des hommes et des choses est un gage de stabilité qui doit vivement impressionner l’Europe. Ce n’est pas sans un juste orgueil qu’une royauté sortie d’une révolution met la fixité des institutions et le calme profond des esprits en regard des bouleversemens qui emportent, chez nos voisins, des lois réputées aussi immuables que le sol britannique lui-même.

Comment, en effet, ne régnerait-il pas un calme profond dans un pays où les principales questions sont résolues, et qui, loin d’être condamné, comme l’Angleterre, à des expériences redoutables, n’a désormais qu’à suivre le mouvement naturel des évènemens et des idées ? La France n’a pas à changer ses lois céréales, car aucun de ses gouvernemens antérieurs n’avait conçu la coupable pensée de fonder sur la souffrance permanente des classes pauvres la puissance de l’aristocratie territoriale ; elle n’a pas à résoudre les terribles problèmes que soulèvent l’état intérieur de l’Irlande et la domination d’une église qui n’est plus qu’un établissement purement politique, car elle ne doit à aucune classe de ses sujets les tardives réparations impérieusement imposées aujourd’hui au gouvernement de la Grande-Bretagne. Il est donc fort naturel que dans notre pays les discussions parlementaires offrent moins de grandeur que celles auxquelles nous assistons chez nos voisins. Mieux vaut, pour l’honneur et la sécurité d’un peuple, discuter la falsification des vins,