Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/786

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’état civil avec toutes ses conséquences politiques : l’abbé Ronge n’eût été que l’abbé Chatel. On s’est beaucoup inquiété à Rome de notre église française ; c’est la meilleure preuve qu’on n’y connaît rien de la France. Il y avait quelque chose qui nous préservait de l’hérésie, ce n’étaient peut-être pas les foudres du Vatican, c’était à coup sûr le titre II au livre Ier du code Napoléon. Une hérésie de plus et ce code-là de moins, certaines gens, il est vrai, accepteraient vite le marché. Je doute pourtant qu’il vienne désormais beaucoup d’hérésies sérieuses ; il n’y aura pas plus d’hérésies que de conciles : les uns en diraient trop, les autres ne signifient rien ; j’en ai bien eu la preuve il m’a suffi d’aller écouter des hérétiques.

C’était à Canstatt, une petite ville de plaisance qui est au bout du parc de Stuttgart. L’abbé Ronge et ses amis sont restés là trois jours, prêchant et discutant. Le gouvernement wurtembergeois leur avait à peu près donné toutes les tolérances qu’ils demandaient. Il s’était bien gardé de les appuyer directement, comme avait d’abord fait le roi de Prusse : le roi Guillaume respecte avec trop de sang-froid et de sincérité les droits positifs et les susceptibilités équitables de ses sujets catholiques ; mais il ne s’était pas davantage avisé de tourmenter assez mal à propos les nouveaux dissidens, comme on a fait depuis dans le cabinet de Berlin ; encore moins les aurait-il poursuivis comme le grand-duc de Bade, proscrits comme le roi de Bavière, qui les déclare communistes et criminels de lèse-majesté ; traqués comme l’Autriche, qui veille sans cesse à l’entrée de cette inflammable Bohème, d’où elle a déjà jeté plus d’un suspect au carcere duro. Le roi Guillaume est de meilleur sens et jouit surtout d’une situation meilleure. Si l’âge ne l’empêchait maintenant, il eût aspiré de grand cœur à devenir le chef politique du protestantisme allemand, il eût ambitionné cette belle place que le roi de Prusse, dont elle était le patrimoine naturel, semble aujourd’hui risquer à plaisir. A n’y pas regarder de trop près, les réformateurs de 1845 ont un peu l’air de fraterniser avec les réformateurs du XVIe siècle. Toutes les bonnes ames de l’église évangélique s’y sont laissé prendre ; il n’y a que les piétistes qui aient vu plus clair et dénoncé fort justement les sectaires catholiques comme les ennemis assurés de toute espèce d’orthodoxie. Cette fois pourtant on n’a pas donné raison aux piétistes. Les rongiens n’ont point eu le choix de la tribune, on ne pouvait leur ouvrir les églises du culte de la majorité sans blesser la minorité ; mais ils ont eu la liberté de la parole, qu’on ne pouvait leur refuser sans mentir à l’esprit même du