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sainte robe, elle s’aperçut bien que son catholicisme n’était point celui du pape. Cette église raisonnable, ce dogme de plus en plus mitigé par l’intervention du sens naturel, c’était là l’entreprise universelle de tout un siècle, et plus mûre encore en Allemagne qu’ailleurs ; — mais l’illusion des rongiens, mais ce que je sens comme leur petitesse, comme leur vanité personnelle, c’est d’avoir prétendu intervertir subitement ce développement logique de la pensée humaine : rationalistes bornés, ils ont voulu changer une doctrine en catéchisme, et improviser une religion de plus avec la raison, au lieu de laisser la raison pénétrer et pénétrer encore les anciennes. Ils ont voulu refaire une règle de nature immuable, tandis que l’effort de toutes les sociétés modernes, c’est de sortir de cette immobilité de la règle, c’est de la remplacer par les progrès et les perfectionnemens de la vie. Le propre de l’avenir en ces délicates matières, c’est peut-être qu’il pourra se passer de symboles officiels, ou les rendra toujours d’ordre plus intime, en les multipliant toujours. Le symbole de Leipsig accepte sans doute avec une exemplaire modestie ces infaillibles vicissitudes qui l’attendent ; il eût été plus sûr de ne pas le proclamer à si grand bruit. Des esprits mieux instruits auraient compté davantage sur la pente du siècle ; ils auraient mis moins d’orgueil à se donner pour des fondateurs ; ils n’auraient pas affiché cette étrange ambition de décréter encore la croyance humaine à la majorité des voix ! Après tout pourtant, cette sotte présomption, c’est l’infirmité de quelques individus, ce n’est pas la ruine du grand travail commun. Le cours des choses en souffre peu ; qui sait même s’il ne faut pas de ces gens qui viennent parfois brutalement l’aider à leurs dépens plus qu’à leur honneur ? Qui sait s’il ne faut pas de ces enfans perdus dans toutes les batailles ?

Singulier contraste ! cet établissement officiel que je reproche aux rongiens d’avoir tenté faute de sens et de simplicité, c’est ce que certains en Allemagne leur reprochent d’avoir manqué faute des lumières de l’école. La nouvelle philosophie hégélienne n’est pas seulement une philosophie, c’est une église ; elle possède la vérité absolue, elle a le secret du monde, et pourrait, au besoin, remonter la machine ; c’est bien le moins qu’elle la conduise à tout jamais, avec tout empire et toute sécurité, suivant ces lois éternelles qui lui ont été révélées, non plus par l’inspiration mystique, mais par la connaissance de l’être en soi. Ces grands docteurs qui ont découvert de si magnifiques constructions pour gouverner du fond de leur cerveau jusqu’aux plus menus détails des choses, ces maîtres intrépides de la science, ont eu honte d’un édifice aussi peu savant que l’était celui de l’abbé Ronge : ils ont admiré