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curieuses sur la Société polie, a représenté l’hôtel de Rambouillet comme l’asile de la sagesse et des bonnes mœurs au milieu d’une cour turbulente et corrompue ; il oppose les vertus de Mme de Rambouillet, de sa fille Julie d’Angennes, de son gendre M. de Montausier, leur conduite réservée et fière, aux scandales et aux bassesses qui déshonoraient alors cette cour dépravée par l’influence des Médicis. Tout cela est exact et vrai, et M. Roederer démontre sans peine ce qu’on ne songe guère à lui contester.

Il est également vrai que l’hôtel de Rambouillet a eu sur la littérature une influence d’abord salutaire ; dès qu’elle a pu devenir dangereuse, Boileau par ses épigrammes, Molière, La Fontaine et Racine par leurs ouvrages, l’ont anéantie. Les scrupules et les délicatesses infinies que les écrivains inspirés par l’hôtel de Rambouillet portaient dans la peinture des passions, leur décence de langage qui faisait la guerre aux mots, aux syllabes les plus innocentes, et les traitait d'obscénités[1], étaient, malgré les exagérations, d’un bon et utile exemple après le XVIe siècle, après Brantôme, Rabelais, Régnier, et au temps des échappées grossières, parfois ignobles, de Théophile, de Saint-Amand et de Scarron. Il était bien d’ennoblir et de purifier l’amour, de mettre plus d’élévation dans les sentimens, plus de décence dans les paroles. La langue même leur a sans doute quelques obligations. Je ne parle pas seulement des mots et des tournures que les précieuses ont introduits et dont plusieurs se sont maintenus ; mais cette délicatesse extrême dans le choix des termes, ces conversations élégantes que l’on travaillait comme un livre, devaient purifier une langue pleine encore de trouble et de confusion. L’affectation et la recherche, fatales aux littératures en décadence, peuvent rendre quelques services à une littérature jeune et imparfaite, comme ces maladies qui épuisent la vieillesse, et dans un corps jeune et vigoureux épurent le sang. Avec leurs subtilités sentimentales, ces beaux esprits assouplissaient la langue en la torturant. Ainsi travaillé en tout sens, le langage pouvait se prêter aux formes diverses dont une pensée meilleure allait avoir besoin. De plus, à côté de l’Académie fondée par Richelieu, Mme de Rambouillet établissait une sorte d’institution analogue,

  1. Ce mot lui-même est de l’invention des précieuses. Du temps de l’École des Femmes (1662), il n’avait point encore passé dans la langue commune. Dans la Critique de l’École des Femmes, une précieuse emploie cette expression : « Comment dites-vous ce mot-là, madame ? reprend Élise. -Obscénité, madame. — Ah ! mon Dieu ! obscénité ! Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde. »