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contre la contagion ; ce n’étaient pas là d’ailleurs les habitués de tous les jours. Quant à Mme de Maintenon, dont on veut faire l’héritière accomplie de ces réunions ; quant à ce cœur glacé, où l’ambition dévorait les semences de toutes les passions, sans honneur pour son caractère et sans profit pour sa vertu ; cette femme qui fit tout servir aux intérêts de son orgueil, et la pruderie de sa conduite, et les vices d’autrui ; exploitant le crédit et la faveur de ses amis, qu’au besoin elle savait changer en disgrace ; trahissant, par zèle sans doute pour la morale, Mme de Montespan, sa bienfaitrice, que Louis XIV abandonnait ; trahissant, par piété peut-être, Fénelon lui-même, dont les erreurs théologiques l’effrayèrent du jour où il fut disgracié, — si c’est là l’expression la plus achevée de cette société polie, si c’est là ce que devait produire l’influence de la marquise de Rambouillet, c’est assurément pour elle une pauvre gloire, que son cœur loyal eût désavouée sans doute. Nous croyons lui faire moins de tort en attribuant en partie à son influence et le Cyrus et la Clélie. Mlle de Scudéry au moins n’a que des ridicules, et cela vaut mille fois mieux.

Nous avons cru devoir insister un peu sur ce point, d’abord parce que cette réhabilitation complète de l’hôtel Rambouillet est presque devenue une opinion à la mode, et ensuite parce que Mlle de Scudéry, par ses qualités comme par ses défauts, nous paraît l’expression la plus fidèle de l’esprit qui y régnait. C’est elle seule précisément qu’entre tous les auteurs de cette école M. Roederer sacrifie ; il dénature les faits pour éloigner de ceux dont il entreprend la défense toute responsabilité possible à l’égard du Cyrus et de la Clélie[1]. Il démontre, assez inutilement peut-être, que Julie d’Angennes et le marquis de Montausier n’ont pu, dans leurs longues et patientes amours, suivre tout l’itinéraire de Tendre, dont la carte ne fut publiée dans la Clélie que dix ans après leur mariage ; il prouve qu’ils ne purent se modeler sur les héros de Mlle de Scudéry. Cela est incontestable ; ils n’en sont pas la copie sans doute, mais ils pourraient bien en être l’original, et c’est ce dont on peut se convaincre en lisant les romans de Mlle de Scudéry.

  1. « Mlle de Scudéry avait fait des romans ; mais, tant qu’elle avait été de la société de Julie d’Angennes, elle les avait publiés sous le nom de son frère. Détachée de toute contrainte par sa séparation d’avec Julie, elle inonda Paris de ses nouvelles productions, et les répandit sous son nom. » Il y a là plusieurs inexactitudes : d’abord M. et Mme de Montausier continuèrent toujours à voir Mlle de Scudéry, de plus tous ses romans ont été publiés sous le nom de son frère, et ses autres ouvrages parurent sans nom d’auteur.