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tous ces portraits sont très flattés, on conçoit fort bien qu’on n’eût aucune répugnance à s’y reconnaître[1].

Le Cyrus parut en 1650, au milieu de la fronde. Il est dédié à Mme de Longueville. On reconnaît dans cette dédicace la main de Scudéry. Tout ce qu’il a écrit est marqué d’un tel caractère d’emphase hautaine, qu’il est impossible de s’y méprendre. Scudéry, frondeur très décidé, ainsi que sa sœur, ne manque pas de prodiguer à Mme de Longueville et à sa famille les éloges les plus extravagans. « Votre ame, lui dit-il, a moins de taches que le soleil ; elle passe comme les rayons de ce bel astre sur la corruption de la terre sans s’y altérer ; elle ne change jamais, non plus que lui ; elle ne quitte non plus sa route que le soleil quitte la sienne, et elle ne s’arrête non plus dans le chemin de la gloire que cet astre éclatant dans son chemin ordinaire ; allant toujours de perfection en perfection, sans rétrograder jamais, non plus que l’astre dont je parle, etc. » Thomas Diafoirus n’eût pas mieux dit. Cette comparaison entre le soleil et Mme de Longueville se poursuit long-temps encore. Cyrus, adorateur du soleil, en sa qualité de Persan, vient se prosterner humblement avec l’auteur aux pieds de Mme de Longueville et de sa divinité visible, afin de suivre la religion de son pays. Voilà toute la couleur locale du livre. Joignez à cela force louanges pour le prince de Condé. — Scudéry ne se bornait pas à ces démonstrations respectueuses pour les chefs de la fronde ; il intriqua pour M. le prince, et fut obligé, après les troubles, de se retirer quelque temps à Granville, en Normandie, où il se maria. Cependant sa sœur allait à Vincennes visiter pieusement, et comme en pèlerinage, la chambre où avait été enfermé Condé. « Lorsque je fus au donjon, dit-elle dans une de ses lettres, j’eus la hardiesse de faire quatre vers et de les graver sur une pierre où M. le prince

  1. La gravité des solitaires de Port-Royal ne fut pas insensible aux hommages que leur rendit Mlle de Scudéry dans sa Clélie « Vous avez oublié (leur dit Racine dans sa lettre à l’auteur des Hérésies imaginaires), vous avez oublié que Mlle de « Scudéry avait fait une peinture avantageuse de Port-Royal dans sa Clélie. Cependant j’avais ouï dire que vous aviez souffert patiemment qu’on vous eût loués dans ce livre horrible (horrible, comme roman, aux yeux des jansénistes). L’on fit venir au désert le volume qui parlait de vous. Il y courut de main en main, et tous les solitaires voulurent voir l’endroit où ils étaient traités d’illustres. Ne lui a-t-on pas même rendu ses louanges dans l’une des Provinciales, et n’est-ce pas elle que l’auteur entend lorsqu’il parle d’une personne qu’il admire sans la connaître ? » Janvier 1666.