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dont l’opinion était souveraine, dont le caprice avait force de loi, ne ressemblait guère à celui d’aujourd’hui. Sous Louis XIV, on s’adressait à une société choisie, on en reproduisait le ton et le langage, et il fallait encore quelque talent pour représenter fidèlement ces entretiens, quintessenciés peut-être, mais délicats et ingénieux. Aujourd’hui l’on s’adresse à la foule et chacun se met à son aise ; les lecteurs, plus nombreux, sont aussi moins exigeans. La Clélie avait au moins une forme littéraire qui dissimulait un peu l’absurdité du fond ; elle se recommandait par le style, et c’est là ce qui a valu à ce mauvais roman une existence si longue et si brillante, une vogue si inquiétante pour le goût. La plupart des romans actuels ne présentent pas le même danger. Assurément, s’il fallait choisir entre les improvisateurs d’autrefois et ceux d’aujourd’hui, nous prendrions parti pour les premiers ; après tout, le langage des ruelles valait mieux que celui des bagnes. Il faut pourtant convenir que nos romans médiocres ont un incontestable avantage sur la Cléopâtre et la Clélie ; ils vivent beaucoup moins long-temps. Depuis que la presse quotidienne, leur est venue en aide, la consommation est devenue plus considérable, mais aussi plus rapide ; ils meurent chaque jour en détail, et, s’ils arrivent en foule, ils disparaissent plus promptement.


EUGÈNE DESPOIS.